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La France insoumise et d’autres organisations appellent à manifester, le 12 juin, « pour les libertés et contre les idées d’extrême droite ». Révolution y sera, bien sûr, et appelle tous ses lecteurs à mobiliser leur entourage, leur syndicat ou leur association pour contribuer au succès de ces manifestations politiques.

Il était temps. Depuis quelques semaines, l’air politique et médiatique – déjà très chargé – devenait irrespirable. Le 21 avril, des généraux d’extrême droite demandaient aux militaires d’active de se préparer à écraser les « hordes des banlieues ». Un mois plus tard, une manifestation de policiers, devant l’Assemblée nationale, faisait bon accueil à toutes les personnalités les plus réactionnaires de la caste politico-médiatique. Pour parachever le tableau, des dirigeants du PS, du PCF et des Verts s’y sont fourvoyés.

Dans les grands médias, on « débat » interminablement des violences contre les policiers, sans que jamais la violence des policiers ne soit discutée. Dès que cette question est soulevée, un éditorialiste frappe du poing sur la table et décrète que les violences policières n’existent pas – et que quiconque prétend qu’elles existent encourage, de facto, les agressions contre les policiers. Quant à la méthode scientifique permettant d’aboutir à cette conclusion, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, en a donné la formule : « je préfère le bon sens du boucher-charcutier de Tourcoing » aux études de l’Insee [1]. On ne saurait dire si c’est plus offensant pour le personnel de l’Insee ou pour les bouchers-charcutiers de notre pays.

Soit dit en passant, il n’y a pas non plus de racisme dans la police ; c’est du moins ce que tout le monde affirme sur le plateau de télévision classique : le responsable du Rassemblement National, le chef d’un syndicat policier d’extrême droite, l’éditorialiste du même bord – et le journaliste qui, complaisamment, anime l’émission.

De manière générale, n’importe quel événement est susceptible d’alimenter la démagogie raciste et sécuritaire : un fait divers (tel qu’il s’en produit chaque jour), mais aussi une chanson (d’un rappeur immédiatement traité de « racaille ») ou un joueur de football (Karim Benzema qui rejoint l’équipe de France). A ce niveau-là, on peut créer des « polémiques » à la douzaine de façon totalement artificielle. Pour les dirigeants du RN, c’est la fête permanente. A chaque nouvelle occasion de seriner leurs litanies nationalistes, on les voit se pavaner, radieux, sur CNews, BFM et autres cloaques médiatiques.

Trois objectifs

Ce flot ininterrompu de propagande réactionnaire poursuit trois objectifs très clairs.

Premièrement, il s’agit de détourner l’attention des masses de la crise économique et sociale qui frappe – ou va frapper, dans les mois qui viennent – des millions de jeunes et de travailleurs. La classe dirigeante et son gouvernement redoutent que l’augmentation du chômage, de la pauvreté et de la précarité ne prépare de puissants mouvements sociaux (ce qui est inévitable). Et comme ils n’ont pas de solution aux ravages que leur système engendre, ils désignent à la vindicte populaire les musulmans, les immigrés et les jeunes des banlieues, qu’ils jettent dans le même sac que les criminels et les terroristes.

Pendant ce temps, le grand patronat continue d’accumuler des fortunes colossales. Le 1er mai dernier, Les Echos nous apprenaient que « les grandes entreprises françaises cotées de l’indice SBF120 devraient verser 52 milliards d’euros de dividendes cette année (…) dont la majorité sera déboursée au cours des semaines à venir. Soit un rebond de 42 % en un an, d’autant plus impressionnant que les dividendes versés cette année aux actionnaires le sont au titre des résultats de 2020, année marquée par une crise particulièrement brutale qui a vu les bénéfices du CAC 40 fondre de moitié. » Et qui a vu, aussi, l’Etat subventionner massivement des entreprises qui, aujourd’hui, versent d’énormes dividendes à leurs actionnaires.

Deuxièmement, le flot de propagande sécuritaire, nationaliste et raciste poursuit des objectifs électoraux. L’élection présidentielle approche. LREM et LR veulent concurrencer Marine Le Pen sur son terrain. Que peuvent-ils faire d’autre, de leur point de vue ? Promettre une baisse du chômage et des réformes sociales profitant aux jeunes, aux salariés et aux retraités ? Plus grand monde n’y croirait. Haro, donc, sur les musulmans, les immigrés et les jeunes des banlieues.

Troisièmement, il s’agit de préparer et de justifier une remise en cause de nos droits démocratiques. Encore une fois, la bourgeoisie française comprend très bien que la crise de son système va provoquer une intensification de la lutte des classes. Les capitalistes savent ce qui les attend. Ils observent avec angoisse les explosions sociales qui se multiplient à travers le monde, comme tout récemment en Colombie. Ils n’ont pas oublié la crise des Gilets jaunes. Maîtres de l’appareil d’Etat, ils le préparent aux combats futurs. Sous couvert de « lutte contre l’insécurité », le renforcement de l’appareil judiciaire et policier est dirigé contre les mobilisations à venir du mouvement ouvrier.

Démocratie et socialisme

Les manifestations du 12 juin doivent être une première étape dans la riposte de notre camp. Dans les semaines et les mois qui viennent, d’autres initiatives devront être prises pour fendre l’épais brouillard de la propagande nationaliste, raciste, sécuritaire – et placer la lutte des classes au centre des débats.

Ce n’est pas la démocratie abstraite, la démocratie en général, que nous devons défendre, car une telle démocratie, planant au-dessus des classes en lutte, n’existe pas : c’est une fiction forgée par les dominants en vue de tromper les dominés. Toute démocratie a un contenu de classe. Comme l’écrivait Lénine il y a un peu plus d’un siècle, « la plus démocratique des républiques bourgeoises ne saurait être autre chose qu’une machine à opprimer la classe ouvrière ». [2]

Cela ne signifie pas, bien sûr, que nous sommes indifférents à la forme – démocratique ou dictatoriale – de l’Etat bourgeois. Comme l’expliquait aussi Lénine, la république bourgeoise est le meilleur régime possible, sous le capitalisme, du point de vue de la lutte de notre classe pour le renversement de cette même république bourgeoise – et pour son remplacement par une république socialiste, c’est-à-dire par une république infiniment plus démocratique que la plus démocratique des républiques bourgeoisies, car reposant sur le pouvoir de la majorité, et non plus sur le pouvoir d’une petite minorité.

Autrement dit, nous ne devons pas manifester pour défendre la Justice (bourgeoise) face à la Police (bourgeoise), ou pour défendre des « principes républicains » abstraits. Nous devons manifester pour défendre et étendre les droits démocratiques de notre classe – contre les offensives de la classe dirigeante et de son Etat, de sa Police et de sa Justice. Dans la période à venir, sous l’effet de la crise sociale et de l’intensification des contradictions de classe, la bourgeoisie s’attaquera à l’ensemble de nos droits démocratiques : droits de faire grève, de se syndiquer, de s’organiser, de se réunir, de manifester, etc. De fait, ces droits sont déjà remis en cause, chaque jour. C’est pour défendre et étendre ces droits que nous devons nous mobiliser, en liant cette lutte à la nécessité d’engager le combat contre le système capitaliste lui-même, c’est-à-dire contre la domination de l’économie par une poignée de milliardaires qui exploitent, précarisent, licencient, détruisent l’industrie, saccagent la planète et fomentent des guerres impérialistes.

La lutte pour nos droits démocratiques n’est pas une fin en soi ; c’est un élément de la lutte plus générale pour en finir avec l’exploitation, les oppressions, la misère, le chômage – et le système pourrissant qui les engendre : le capitalisme. Voilà ce que nous devrons rappeler, sur les manifestations du 12 juin, pour leur donner le contenu politique qui correspond aux véritables tâches historiques de la jeunesse et du mouvement ouvrier, en France comme à l’échelle internationale.


[1] Dans L’Express, le 18 mai.

[2] Dans ses Thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature prolétarienne (1919).


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