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Cet article a été publié dans le journal Révolution de septembre 2014.


Le 18 juillet dernier est paru dans Marianne un article intitulé « Pourquoi l’Allemagne nous gonfle ». L’illustration montrait une main étranglant l’aigle des armoiries de la RFA. Cet article énumérait plusieurs raisons supposées, pour les « Français », d’en vouloir aux « Allemands » (toutes classes confondues), à commencer par la supériorité économique de l’Allemagne. Cette jalousie y est exprimée de façon crue : « [l’Allemagne] nous a piqué l’Europe ». Tout l’article suinte la xénophobie et le revanchisme. On apprend que les médias allemands sont menteurs et aux ordres de leur bourgeoisie, que les publicités de ses marques sont mensongères, ou encore que son patronat est machiste. Comme si l’on ne pouvait pas en dire autant des médias et du patronat français ! L’auteur critique également la natalité déclinante de l’Allemagne. Cet article est un exemple caricatural, jusqu’à l’absurde, d’une tendance assez marquée dans une partie de la bourgeoisie française, nostalgique de sa grandeur passée et qui rejette sur l’Allemagne la responsabilité de sa propre déchéance.

Conséquence de l’influence idéologique bourgeoise, cette tendance se reflète dans le mouvement ouvrier français par un discours antigermanique de plus en plus présent. Certains rejettent sur l’Allemagne toute la responsabilité des politiques d’austérité qui règnent en Europe. L’Humanité parle du « dogme austéritaire imposé par Berlin », en oubliant le rôle de la bourgeoisie française et de son gouvernement dans l’adoption et la mise en place de ces politiques. D’autres vont plus loin et opposent une Allemagne dominatrice, divisée et qui serait le berceau du néolibéralisme à une France progressiste et universaliste. Par exemple, on a connu Jean-Luc Mélenchon bien mieux inspiré que lorsqu’il écrivait sur son blog, le 7 juin dernier : « [...] les Länder sont le résultat de l’impuissance séculaire des élites politiques allemandes à se construire en Nation […] nous notons sur nos bâtiments publics “Liberté-Égalité-Fraternité”, message universaliste ouvert à tout être humain, [alors] que les réunificateurs de l’Allemagne contemporaine firent graver sur le Bundestag : “au peuple allemand” [...] »

Cet « universalisme » de la République française s’exprime surtout, pour ses victimes, à travers les troupes que Hollande envoie en Cote d’Ivoire, au Mali ou en Centrafrique – ou encore par le comportement prédateur de ses entreprises. En fait, la confusion chauvine qui s’exprime par la forte présence de la Marseillaise ou du drapeau tricolore, dans les rangs du PC ou du PG, est le fruit de la propagande nationaliste de l’impérialisme français, qui se camoufle derrière la Déclaration des droits de l’Homme.

Cette hostilité à l’égard de l’outre-Rhin, au sein du mouvement ouvrier français, repose sur un constat simple : l’Allemagne est actuellement la puissance économique dominante en Europe. Or cela n’enlève rien à la rapacité de la bourgeoisie française, qui exploite à son profit les zones qu’elle contrôle encore. Surtout, ce social-chauvinisme antiallemand oublie que, comme la France, la société allemande est divisée en classes sociales. Le salariat y est soumis à une exploitation sévère des capitalistes, qui ont profité du recul des luttes sociales, dans les années 90 et 2000, pour détruire la plupart des acquis sociaux issus des luttes de l’après-guerre ou des années 70. Entre 2002 et 2005, le gouvernement « social-démocrate » de Gerhard Schröder a été un des principaux artisans de cette destruction, à travers les quatre réformes dites « Hartz ».

De même que les travailleurs français ne sont pas responsables de la politique de leur classe dirigeante, les salariés allemands ne sont pas les complices de leurs patrons, mais bien leurs victimes. Des deux côtés du Rhin, les travailleurs ont les mêmes intérêts et les mêmes ennemis, qui utilisent le poison du chauvinisme pour les diviser et maintenir ce système de misère. En cette année 2014, alors que la bourgeoisie commémore le centenaire de la grande boucherie au cours de laquelle elle a jeté les travailleurs les uns contre les autres pour sauver ses monopoles, le mouvement ouvrier de France, d’Allemagne et du monde entier doit faire siens les mots du révolutionnaire allemand Karl Liebknecht : « L’ennemi principal est dans notre propre pays ! »

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