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Le 52e Congrès de la CGT se tiendra du 13 au 17 mai, dans un contexte qui met la confédération face à de grandes responsabilités. Crise du capitalisme, menace d’une nouvelle récession, offensives brutales du gouvernement contre la jeunesse et les salariés, impuissance des mobilisations syndicales à enrayer ces offensives, explosion sociale des Gilets jaunes : tout ceci appelle une discussion sérieuse, approfondie, puis des conclusions programmatiques et stratégiques offensives.

Malheureusement, le Document d’orientation présenté par la direction sortante, en amont du Congrès, n’est pas à la hauteur de cet objectif. Il est bien trop long, au regard de son contenu : 551 paragraphes, dont un grand nombre se contentent de décrire la régression sociale qui frappe la masse de la population. Or cette régression sociale, les militants de la CGT la connaissent déjà ; ils la subissent eux-mêmes. Ce qu’ils veulent surtout comprendre, c’est pourquoi la CGT va de défaite en défaite au niveau national, depuis plus de dix ans, et comment y remédier.

Mais relevons d’abord un fait très significatif : le mouvement des Gilets jaunes n’est même pas mentionné dans le document, qui a pourtant été publié en janvier. Même en supposant qu’il ait été rédigé avant le 17 novembre 2018, la direction confédérale avait tout le temps de le modifier. Car enfin, comment la CGT peut-elle analyser les développements de la lutte des classes en France, et y inscrire son action future, si elle passe complètement sous silence les luttes massives et inédites des Gilets jaunes ? Cette omission serait incroyable si l’attitude de la direction confédérale ne nous y avait pas préparés, ces six derniers mois. En effet, elle a tout fait pour tenir la CGT à distance du magnifique mouvement des Gilets jaunes, sous des prétextes divers et fallacieux. Il faut que le Congrès corrige cette grave erreur.

Réformisme

Le document se divise en cinq parties [1]. Les deux premières décrivent longuement les conséquences négatives – économiques, sociales et environnementales – du capitalisme en crise. Le constat est clair et, encore une fois, connu de tous. Cependant, dès que les auteurs du document s’aventurent à présenter une alternative à la catastrophe actuelle, ils sombrent dans la confusion.

Par exemple, le paragraphe 10 affirme : « Transformer le travail, c’est-à-dire à la fois modifier son contenu, ses conditions et son sens, est une revendication incontournable et ambitieuse. On pénètre là “par effraction” dans ce que le patronat considère comme sa “chasse gardée”. Sans une telle effraction, il n’y aura pas d’émancipation possible ».

La véritable « chasse gardée » du patronat, la source de son pouvoir et de sa richesse, c’est le fait qu’il possède les principaux leviers de l’économie : les banques, l’industrie, la grande distribution, etc. C’est même cela qui le constitue comme patronat. Tant que les travailleurs n’auront pas exproprié la grande bourgeoisie, « le contenu, les conditions et le sens » du travail resteront strictement subordonnés à l’exploitation de classe. C’est seulement quand les travailleurs deviendront propriétaires collectifs des moyens de production, et réorganiseront l’économie sur cette base, que le travail pourra commencer à changer de nature et de « sens ». Cette idée simple, qui était à l’origine de la création de la CGT, il y a plus de 120 ans, ne figure nulle part – ni de près, ni de loin – dans le document d’orientation de son 52e Congrès. C’est l’un de ses défauts majeurs, selon nous. Et c’est un défaut marqué du sceau du réformisme.

Prenons un autre exemple, au paragraphe 21 : « Notre volonté de transformation sociale et notre ambition revendicative s’attaquent aux sources du mal, au cœur du conflit entre capital et travail fondé sur le partage inégal et injuste des richesses créées par le travail, au détriment des travailleurs eux-mêmes. » Non, la source du mal, le cœur du conflit entre travail et capital, ce n’est pas le « partage inégal » des richesses créées ; c’est l’accaparement des moyens de produire les richesses par les capitalistes – les travailleurs, eux, ne possédant rien d’autre que leur force de travail. Le « partage inégal des richesses » est une conséquence inéluctable des rapports de propriété capitaliste. Prétendre qu’il est possible de parvenir à un partage « égal » et « juste » des richesses sous le capitalisme, c’est nourrir des illusions réformistes.

Adaptation

De fait, les éléments programmatiques du document s’arrêtent au seuil de la propriété capitaliste. Alors que les gouvernements successifs ont privatisé la plupart des entreprises publiques, ces 30 dernières années, le document ne propose aucune nationalisation. En période de crise organique du capitalisme, pourtant, toute lutte sérieuse pour défendre les conditions de vie des masses pose la question de la propriété, d’une façon ou d’une autre. Par exemple, comment sauvegarder les grandes entreprises menacées de fermeture et y maintenir l’emploi, sinon en les nationalisant ? Comment résoudre la crise du logement sans nationaliser les banques et les entreprises du BTP, de façon à lancer un vaste plan de construction de logements sociaux ? Et ainsi de suite.

Dans le Manifeste du Parti Communiste, Marx soulignait la nécessité de lier les revendications « immédiates » des salariés – pour de meilleurs salaires, de meilleures conditions de travail, etc. – à l’objectif de renverser le capitalisme. On doit « mettre en avant la question de la propriété (…) comme la question fondamentale du mouvement », écrivait-il. Comme le rappellent les camarades de la FNIC-CGT [2] dans leur critique du Document d’orientation, cet objectif révolutionnaire figurait dans les textes fondateurs de la CGT. Il est grand temps de renouer avec ces traditions.

La crise du capitalisme sape les bases matérielles du réformisme. Le chômage et la précarité augmentent. Loin de faire des concessions aux travailleurs, la bourgeoisie s’attaque à toutes nos conquêtes sociales. Cette situation pousse la plupart des dirigeants réformistes à avancer un programme de plus en plus modéré et défensif. Puisqu’ils ne remettent pas en cause le capitalisme, ils adaptent leur programme aux conditions de la crise. C’est le cas du document de Congrès de la CGT.

Par exemple, le document insiste longuement sur sa revendication d’une « Sécurité sociale professionnelle ». C’est une vieille idée de la direction de la CGT. De quoi s’agit-il ? Le document l’explique : lorsqu’un salarié sera licencié par son patron, la « Sécurité sociale professionnelle » garantira « le maintien du contrat de travail et du salaire jusqu’à reclassement effectif au même niveau d’emploi avec transférabilité de tous ses droits (qualification, salaire, ancienneté, formation, protection sociale, etc.) ». D’un côté, la direction de la CGT prend acte du chômage et de la précarité, comme s’il s’agissait de fatalités immuables. Mais, d’un autre côté, elle propose une réforme permettant (sur le papier) de neutraliser tous les effets du chômage et de la précarité, et ce à long terme. Les camarades de la FNIC-CGT ont bien raison de poser la question : « Doit-on se contenter d’aménager les conséquences de l’exploitation ? » Ajoutons que dans le cadre du capitalisme en crise, la « Sécurité sociale professionnelle » n’a aucune chance de voir le jour. C’est de la poudre aux yeux réformiste.

Impasse stratégique

La troisième partie du document porte sur le bilan des luttes de la dernière période. On y lit le constat suivant : « l’analyse purement quantitative des rassemblements des années passées indique clairement un recul significatif du taux de participation ». Comprenez : les « journées d’action » mobilisent de moins en moins. C’est un fait. Mais le document omet un « détail » important : même lorsque ces journées d’action mobilisaient massivement (comme en 2010, par exemple), elles ne parvenaient pas à faire reculer le gouvernement. Et c’est précisément pour cette raison que les journées d’action ont tendance à moins mobiliser : les travailleurs ont fait l’expérience de l’échec de cette stratégie.

La direction de la CGT, elle, n’en démord pas : la stratégie des journées d’action est la bonne. Et pour expliquer que ces manifestations mobilisent de moins en moins, elle avance des explications superficielles : les militants syndicaux ne « débattent » pas assez avec les travailleurs, ne les « écoutent » pas assez ; en outre, certains syndicats CGT d’entreprise « n’appellent pas à se mobiliser lors de journées d’action », etc. Comme l’écrivent les camarades de la FNIC-CGT : « la responsabilité est attribuée à une carence des syndicats CGT, et non à la stratégie nationale interprofessionnelle ». Or c’est précisément cette stratégie interprofessionnelle qui est erronée. Le mouvement des Gilets jaunes en est la preuve : son irruption – en dehors des structures syndicales – est une conséquence évidente de l’incapacité du mouvement syndical (CGT comprise) à enrayer la régression sociale qui frappe les masses, depuis tant d’années.

Compte tenu de la crise du capitalisme français, la bourgeoisie n’est pas disposée à céder facilement. Elle ne reculera pas face à de simples journées d’action, aussi massives soient-elles. Seul le développement d’un vaste mouvement de grèves reconductibles permettra de faire céder le gouvernement. Sans surprise, le document de la CGT n’en dit rien. Il évoque « la grève » comme « l’arme la plus efficace » des salariés ; il souligne que de nombreuses grèves ont été victorieuses au niveau des entreprises, ces derniers temps ; mais il n’en tire aucune conclusion au niveau interprofessionnel (national).

Etant donnée la position centrale de la CGT dans le mouvement ouvrier français, il est indispensable qu’elle corrige son orientation programmatique et stratégique. C’est une condition incontournable de nos victoires futures.


[1] Nous ne pouvons aborder ici que les trois premières parties. Les deux dernières portent sur l’organisation interne de la CGT et sur son activité internationale.

[2] Fédération Nationale des Industries Chimiques. Voir son document en ligne.

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