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congrès APPO

Voici un texte publié par le Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte. Il traite du congrès de l’Assemblée Populaire du Peuple de Oaxaca qui a eu lieu ce weekend dernier (10-12 novembre).

Bien le bonjour d’Oaxaca, le 14 novembre.

Bien le bonjour,

Le Congrès constituant de l’Assemblée s’est ouvert le vendredi 10 novembre. Il avait pour but de définir, autour de trois thèmes de discussions, les perspectives, les principes, le programme et le plan d’action, à court, moyen et long terme, de l’Assemblée, puis de désigner les membres qui formeront le Conseil de l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca. Ce Conseil des peuples d’Oaxaca, (Consejo Estatal de los Pueblos de Oaxaca) constituera la direction collective permanente de l’Assemblée, elle sera l’organe de coordination et de représentation de l’APPO. Trois jours plus tard, le lundi 13, à 4 heures du matin, après d’âpres disputes, interrompues par des discours de soutien venus de toute part, la recherche opiniâtre du consensus et quelques tentatives de manipulation, le Congrès avait atteint ses objectifs.

Le Congrès s’est tenu dans une salle des sports, surchauffée en milieu d’après-midi, froide la nuit, qui se trouve à la sortie de la ville. Les délégués des sept régions de l’État d’Oaxaca et des différents secteurs de la société composant l’Assemblée formaient le corps du Congrès, huit cents au début, un peu plus de mille sur la fin, ils avaient un carton orange et eux seuls avaient le droit de vote, puis venaient les invités munis d’un carton jaune (les invités avaient le droit à la parole, mais non au vote) et la presse, autre carton, qui a dû sortir dès le commencement des débats. Interdiction était faite de sortir avant la fin des débats, sauf pour les invités, qui, dans ce cas, ne pouvaient pas revenir. L’alcool et les armes à feu étaient interdits, ainsi que les appareils photo. Un comité de vigilance veillait au bon respect des règles et cherchait à éviter l’infiltration de gens indésirables. Au dernier jour, nous avons été retardé par la découverte de faux délégués, qui avaient présenté une « feuille de route » suspecte. En général, les gens, par délégation, se connaissaient, et il était difficile de se glisser à l’intérieur d’une délégation sans soulever des interrogations. Cela dit... Certains délégués, venus des régions, ont apporté leurs couvertures et dormaient sur place. Petits déjeuners, repas du midi et du soir étaient prévus, en outre les habitants des quartiers et des barricades apportaient à manger dans des camionnettes ou des autos particulières, qu’ils distribuaient à l’heure de la comida. Le repas de midi se faisait dehors sous un soleil assassin et la file était interminable.

Les Indiens, les jeunes et les femmes étaient un peu perdus dans un monde d’hommes, d’adultes et de métis. J’ajouterai que le monde paysan était sous-représenté au profit du corps enseignant. Pourtant, ces minorités issues des colonies, des barricades et des communautés villageoises vont marquer d’un esprit nouveau l’Assemblée populaire face aux traditions de lutte des militants marxistes, qui constituaient tout de même le gros morceau de l’Assemblée. Durant toute la durée du congrès, ces deux formes de pensée vont s’affronter, mais aussi s’écouter, pour finir par conclure une forme d’alliance, un pacte provisoire : les militants ayant parfois été sensibles à ce qui constitue le fondement de l’Assemblée et lui donne un sens, la communauté ; les jeunes libertaires, les habitants des colonies et des villages reconnaissant, semble-t-il, la capacité d’organisation et de convocation des militants issus des formes historiques de la « lutte des classes ». En fin de compte ce que cherche l’Autre Campagne zapatiste, l’alliance entre le mouvement indien et les forces d’opposition au monde capitaliste, semble se concrétiser ici avec l’APPO. Cette union ne se fait pas sans grincements de dents, torsions et contorsions, ce qui donne à l’Assemblée une tournure complexe et parfois ambiguë, elle est populaire, ce qui convient à l’esprit marxiste et léniniste, mais elle est aussi l’assemblée des peuples d’Oaxaca, ce qui lui donne un tout autre esprit.

La première journée a été en grande partie occupée à enregistrer les délégués et les invités, et le congrès n’a véritablement commencé qu’au début de l’après-midi. Les sept présidents et vice-présidents, les quatre rapporteurs et les dix scrutateurs chargés de la direction du congrès ont été désignés par les délégués, chaque région devant nommer trois représentants. La règle du consensus a été retenue et le programme des trois tables de travail a été présenté. Durant cette journée, à travers des discussions, des idées ont pu se préciser : maintenir l’unité entre les forces qui composent l’Assemblée, entre un mouvement anti-autoritaire et spontané et un mouvement organisé ; des concepts comme la révocation des mandats, la démocratie participative, l’initiative citoyenne, du « mandar obedeciendo », la reconnaissance des droits indigènes, une éducation multiculturelle, l’égalité des genres, ont été avancés, qui devaient définir et rappeler les grands traits de l’Assemblée.

La deuxième journée a été plus consistante, avec la tenue des trois tables de discussion autour des thèmes suivant :

Table 1, analyse du contexte international, national et régional, à l’intérieur duquel se constitue l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca.

Table 2, la crise des institutions : pour une réforme intégrale de l’État libre et souverain d’Oaxaca, pour un nouveau gouvernement, une nouvelle constituante et une nouvelle constitution.

Table 3, l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca, perspectives, déclaration de principes, statuts et buts, plan d’action à court, moyen et long terme.

Nous avons assisté à la table numéro 3, les résolutions et les propositions de la première assemblée des peuples d’Oaxaca, qui eut lieu fin septembre, ont été reprises dans leur ensemble, ce sont en général des déclarations de principes, qui n’ont de sens que s’ils sont réellement appliqués, ce qui est encore à voir. Retenons le principe de la révocation des membres élus du Conseil, que toutes les décisions prises par l’APPO devront être analysées et discutées par la base, le consensus sur les décisions, le service ou tequio, le « mandar obedeciendo »... Nous retrouvons ce caractère de généralité quant aux propositions concernant le programme de lutte, souveraineté nationale, pour un nouveau modèle de développement économique, pour une démocratie populaire, pour la justice sociale... Je vous laisse deviner le contenu de tous ces paragraphes, je retiendrai le droit à la terre pour les femmes indigènes et le respect de la médecine traditionnelle et des médecins et des sages-femmes indigènes ; et puis chacun y a été pour de nouvelles propositions de principes ou de luttes ou pour confirmer et préciser les propositions existantes, insistant sur l’horizontalité des rapports, les radios communautaires, le système des charges, une cinquantaine de personnes sont ainsi intervenues, chacune d’entre elles exprimant, dans une certaine confusion entre réformisme et radicalité, ses préoccupations et ses idées.

Au cours de toutes ces interventions, se dessinaient peu à peu les trois courants qui allaient s’affronter le lendemain : le courant que j’appellerai « magoniste » et qui s’appuie sur les pratiques et les règles de la vie communautaire (souvent, d’ailleurs, la communauté est mise en avant comme une simple référence, un peu abstraite, par de jeunes libertaires venus des barricades), le courant « révolutionnaire » marxiste-léniniste, qui tourne autour du concept clé de pouvoir populaire, et un courant plus souterrain, moins visible mais qui pointe parfois le bout de son nez, le courant réformiste proche du Parti de la révolution démocratique et de la Convention nationale du même nom.

La troisième journée a été consacrée au débat, à partir de l’analyse des résultats ou conclusions des trois tables, et ce ne fut pas une mince affaire, tentatives de manipulation ou l’art de faire passer en force ou en douceur des propositions inacceptables pour la majorité des délégués. Usure, résistance, acharnement, fatigue, les militants des partis politiques et en particulier du PRD, ressortaient de leurs sombreros tous les vieux procédés usés jusqu’à la corde pour faire accepter l’inacceptable. Pris dans la tourmente le bateau du congrès a tenu bon, malgré quelques voies d’eau qui n’ont pu être colmatées à temps. Il s’agissait ensuite de nommer les membres du Conseil, la règle de pas moins de 30 % de femmes ayant été acceptée et retenue par la majorité : dix hommes ou femmes pour chacune des sept régions à l’exception de la Vallée centrale, où se trouve Oaxaca, qui sera représentée par vingt délégués auxquels s’ajouteront les représentants des différents secteurs (de 3 à 5 par secteur) : colonies et quartiers, barricades, femmes, organisations civiles, organisations des peuples indigènes, syndicats, autorités municipales, jeunes et étudiants, paysans et producteurs, religieux, commerçants, secteur culturel et artistique, intellectuels. Tout le monde y retrouvait son compte finalement et il y eut plus de 260 membres nommés pour deux ans. Remarquons que les délégués de la Sierra Norte au Congrès, conséquents avec leur tradition communautaire, n’ont pas nommé de membres au Conseil, laissant ce soin à l’assemblée régionale, qui se réunira prochainement à Guelatao.

Je reviendrai sur ce congrès dans une prochaine lettre.

Oaxaca, le mardi 14 novembre 2006.
George Lapierre.
Lien de l’article : http://cspcl.ouvaton.org/article.php3?id_article=388

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