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Le 5 avril, veille de la onzième journée d’action contre la réforme des retraites, Elisabeth Borne recevra les dirigeants de l’intersyndicale. « Chacun pourra aborder les sujets qu’il souhaite », a-t-elle précisé. C’est bien aimable. Les dirigeants syndicaux pourront rappeler leur opposition à la réforme, et la Première ministre pourra confirmer qu’elle s’en contrefiche.

Dès lors, une question se pose : à quoi bon une telle réunion ? Et pourquoi tant d’agitation, tant d’articles de presse à son propos ? Réponse : du point de vue de nos ennemis de classe, l’importance de cette réunion ne réside pas tellement dans son contenu, mais dans le simple fait d’avoir lieu. L’objectif est de montrer aux jeunes et aux travailleurs mobilisés que le « dialogue social » n’est pas rompu. Du point de vue du gouvernement, c’est fondamental : la « négociation » des contre-réformes avec les directions syndicales est un élément central de leur mise en œuvre. Il s’agit du même coup d’endormir la vigilance et la combativité de notre classe – car si ça « dialogue », là-haut, à quoi bon se mobiliser ?

De leur côté, les dirigeants réformistes des syndicats ne redoutent rien tant qu’un mouvement de masse qui échapperait à leur contrôle. Or le recours au 49.3, le 16 mars dernier, a donné un coup de fouet à la mobilisation. Il a projeté dans le mouvement de nouvelles couches de la jeunesse et du salariat, qui se mobilisaient non seulement contre la réforme des retraites, mais contre le gouvernement et le régime dans son ensemble. Les chefs de l’intersyndicale en furent mortifiés. Dans leur communiqué du 28 mars, au soir d’une journée d’action massive, ils déploraient « une situation de tensions dans le pays qui nous inquiète fortement » et s’alarmaient du « risque d’explosion sociale ». Alors que le gouvernement se livre à une répression policière brutale des manifestations et des piquets de grève, ils lui demandaient de « garantir la sécurité et le respect du droit de grève et de manifester » !

Le rôle de l’intersyndicale

La stratégie des dirigeants de l’intersyndicale pèse lourdement sur le mouvement. Depuis le début, elle en entrave l’énorme potentiel.

D’une part, ces dirigeants se contentent d’organiser des « journées d’action » (une par semaine, en moyenne) et ne font rien pour développer les grèves reconductibles, alors que seule l’extension de ces grèves à un nombre croissant de secteurs pourrait faire reculer le gouvernement. En fixant au 6 avril la journée d’action suivant celle du 28 mars (soit neuf jours plus tard), ils ont même sciemment tourné le dos aux grèves reconductibles en cours.

D’autre part, en cantonnant l’objectif de la lutte au seul retrait de la réforme, ils ont limité le potentiel du mouvement de grèves reconductibles. La mobilisation explosive d’une partie de la jeunesse, dans la foulée du 49.3, l’a démontré : si les directions syndicales élargissaient l’objectif de la lutte, si elles appelaient le peuple à se mobiliser contre l’ensemble de la politique du gouvernement et pour un programme de rupture avec toutes les politiques d’austérité, elles favoriseraient l’entrée dans l’action de millions de jeunes et de travailleurs. Si elles ne le font pas, c’est précisément parce qu’elles redoutent de perdre le contrôle du mouvement.

L’organisation du mouvement

A ce jour, 2 avril, les grèves reconductibles refluent, sauf dans certains secteurs. Cependant, la situation demeure explosive. Les énormes réserves de colère et de combativité qui se sont manifestées, depuis le 19 janvier, sont loin d’être épuisées. Un incident majeur – comme la mort d’un manifestant ou d’un gréviste sous les coups de la police – pourrait déclencher une nouvelle phase ascendante du mouvement.

Reste qu’après plus de deux mois de lutte, beaucoup de jeunes et de travailleurs mobilisés se posent la question : comment vaincre ? Pour y répondre, il faut d’abord compléter la question : comment vaincre malgré le rôle contre-productif joué par les chefs de l’intersyndicale ?

Il est difficile de changer les directions syndicales au beau milieu d’un mouvement de masse. Il est vrai que l’aile gauche de la CGT ne fut pas loin d’y parvenir, fin mars, lors du congrès de sa confédération. Mais les jeunes et les travailleurs ne peuvent pas attendre des changements décisifs, aux sommets des syndicats, pour espérer mettre en échec le gouvernement des riches. Aussi doivent-ils prendre leur lutte en main, l’organiser et la contrôler eux-mêmes de la base au sommet. Or cela ne tombera pas du ciel. L’initiative doit en être prise par l’ensemble des militants politiques et syndicaux qui comprennent la nécessité d’une rupture avec la stratégie mortifère de l’intersyndicale.

Cette question n’est pas nouvelle dans l’histoire du mouvement ouvrier. Voici ce qu’écrivait Léon Trotsky dans son Programme de transition, en 1938 : « Dans les périodes de luttes de classes aiguës, les appareils dirigeants des syndicats s’efforcent de se rendre maîtres du mouvement des masses pour le neutraliser. (…) C’est pourquoi les sections de la IVe Internationale doivent constamment s’efforcer, non seulement de renouveler l’appareil des syndicats (…), mais encore de créer, dans tous les cas où c’est possible, des organisations de combat autonomes qui répondent mieux aux tâches de la lutte des masses contre la société bourgeoise, sans même s’arrêter, si c’est nécessaire, devant une rupture ouverte avec l’appareil conservateur des syndicats. S’il est criminel de tourner le dos aux organisations de masse pour se contenter de fictions sectaires, il n’est pas moins criminel de tolérer passivement la subordination du mouvement révolutionnaire des masses au contrôle de cliques bureaucratiques (…) ».

Nous ne suggérons pas de prendre cette citation au pied de la lettre. Il ne suffit pas qu’un petit groupe de militants proclament la création d’« organisations de combat autonomes » pour que celles-ci prennent corps – ailleurs que sur internet – et jouent un rôle significatif dans la lutte des masses. Par contre, de nombreuses structures syndicales, à commencer par celles qui constituent l’aile gauche de la CGT, pourraient et devraient jouer un rôle important dans ce domaine. Et bien sûr, les militants de la « gauche radicale » devraient aussi y apporter leur concours.

Fin février, on a vu l’amorce d’une telle démarche. Dans la perspective de la grande journée du 7 mars, et en complète rupture avec la stratégie officielle de l’intersyndicale, cinq Fédérations de la CGT ont appelé l’ensemble des travailleurs à mettre à l’ordre du jour des grèves reconductibles. Puis, lors du récent Congrès de la CGT, son aile gauche (Unité CGT) a vivement combattu l’extrême modération de la direction sortante. A l’issue de ce Congrès, Unité CGT se réclame de 205 000 adhérents CGT implantés dans de nombreux secteurs de l’économie. C’est une force potentielle considérable. Au minimum, c’est une bonne base de départ pour développer la prise en main du mouvement par la jeunesse et les travailleurs eux-mêmes.

A l’occasion du 53e Congrès de la CGT, son aile gauche a émergé comme une force croissante et à l’offensive, une force qui peut et doit jouer un rôle central dans le développement de la lutte des classes en France. Avec les succès viennent les responsabilités. Ce que les délégués d’Unité CGT ont expliqué dans le Congrès de leur confédération, ils doivent trouver les moyens de le propager dans un grand nombre de quartiers, d’entreprises et d’universités, dans l’objectif de permettre au mouvement de s’organiser sans attendre les coups de sifflet de l’intersyndicale.

Avant tout, les camarades d’Unité CGT doivent faire résonner dans tout le pays ce qui constitue la clé de la victoire, et qu’ils ont formulé ainsi : « le sujet n’est pas seulement que le rejet des 64 ans. Le sujet, c’est le retour aux 60 ans de départ à la retraite. C’est le SMIC à 2000 euros. C’est la renationalisation/expropriation des autoroutes, des industries, des biens du peuple spoliés. C’est l’abrogation des décrets antichomeurs, c’est la fin des aides aux entreprises, c’est la réponse à tous nos besoins sociaux. C’est un changement de régime. Cet ordre social n’a que trop duré. » Oui, cet ordre social – le capitalisme – n’a que trop duré, et il est grand temps d’engager une lutte décisive pour son renversement.


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