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En septembre 2016, nous écrivions dans ce journal : « la présidentielle de 2017 ne sera pas une élection normale précédée d’une campagne normale. » C’est désormais si évident que même les « experts » des grands médias ont fini par le comprendre. Pour ce faire, ils ont dû renoncer à bon nombre de leurs certitudes. Parfois, l’un d’eux craque et s’écrie : « On est incapable de prévoir quoi que ce soit ! » Ses collègues, autour de la table, n’osent le contredire : eux aussi ont écrit des dizaines d’articles sur « l’inévitable » duel entre Hollande et Sarkozy (ou Valls et Juppé, etc.), puis sur la victoire « quasi certaine » de François Fillon…

Ce que tous ces « experts » ne peuvent ou ne veulent pas voir, c’est la logique sous-jacente à l’extrême volatilité qui caractérise non seulement la campagne électorale, mais la vie politique française en général. Lénine disait : « la politique, c’est de l’économie concentrée. » Précisément : la crise politique dans laquelle s’enfonce le pays est la conséquence de la profonde crise du capitalisme et des innombrables souffrances qu’elle inflige à la masse de la population. Les coupes budgétaires, la croissance du chômage, la pauvreté rampante et l’explosion des inégalités sont en train de briser l’équilibre politique sur lequel reposait le pouvoir de la classe dirigeante, ces dernières décennies.

C’est un phénomène international. Les rythmes et les formes diffèrent selon les pays, bien sûr, mais les mêmes causes produisent partout les mêmes effets. L’équilibre politique a été rompu – à des degrés divers – aux Etats-Unis, en Espagne, en Grande-Bretagne, en Grèce, en Italie, en Roumanie et ailleurs. Même l’Autriche, ce parangon de stabilité politique, a évité de peu l’élection d’un président d’extrême droite, en décembre. Aucun pays n’est à l’abri de ce phénomène. Aucun ne sera épargné.

Fillon et Macron

La classe dirigeante française a besoin d’un gouvernement capable d’infliger au pays une cure d’austérité sans précédent. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire. Pendant les primaires de la droite, François Fillon fanfaronnait : il allait trancher dans le vif, sans trembler, et balayer d’un revers de main les mobilisations syndicales. On allait voir ce qu’on allait voir ! Quelques semaines et révélations plus tard, le voilà réduit à une campagne semi-clandestine, dans un concert permanent de casseroles et de quolibets. Il est largement discrédité avant même d’être élu – ce qui, dès lors, n’est plus très probable. Au suivant !

Dans l’ordre de préférence de la bourgeoisie, le suivant, c’est Macron. Il propose des coupes un peu moins draconiennes que celles promises par Fillon, mais au point où ils en sont, les capitalistes ne peuvent plus faire la fine bouche. Ils savent en outre que le dosage des politiques d’austérité peut être modifié en cours de mandat – et que Macron n’y ferait pas obstacle, puisqu’il est dévoué corps et âme aux intérêts du grand Capital.

« La nature ne tolère pas le vide » : l’ascension de Macron en est l’illustration. Il profite de la grave crise du PS et des Républicains. Cependant, il est difficile de dire jusqu’où il peut aller, tant la ficelle est grosse et la « nouveauté » factice. Il remplit le vide avec son propre vide. De nombreux médias le soutiennent, mais leur réputation est si mauvaise, dans la population, que c’est une arme à double tranchant. Enfin, l’homme qui prétend « profondément rénover la vie politique » reçoit et accepte sans cesse le ralliement de vieilles gloires réactionnaires des Républicains, du PS, du Modem et d’ailleurs. Drôle de « rupture » !

La lutte contre le FN

Tout ceci ne gêne pas le moins du monde Marine Le Pen, dont la démagogie « anti-système » trouve un écho chez des millions d’exploités et d’opprimés qui veulent renverser la table. La plupart d’entre eux ne sont pas racistes ; ils sont ulcérés par les politiciens de droite et « de gauche » qui se succèdent au pouvoir, depuis des décennies, sans que rien ne change, sinon en pire.

L’analogie entre Marine Le Pen et Donald Trump est évidente. Les ressorts fondamentaux sont les mêmes. Ceci dit, le succès du FN n’est pas une fatalité. Ce parti ultra-réactionnaire peut être combattu efficacement. Comment ? En défendant une alternative de gauche et radicale au système. Un nombre important d’électeurs tentés par le vote FN pourraient rallier un programme de gauche, à condition qu’il propose une rupture claire et nette avec l’ordre établi. De manière générale, des millions d’électeurs radicalisés – mais indécis et désorientés – peuvent être gagnés à un tel programme.

Il est peu probable que la campagne de Benoit Hamon puisse jouer ce rôle. Outre que son programme est très confus et modéré, son parti sort laminé de cinq ans de gouvernement Hollande, dont deux avec Hamon comme ministre. Par ailleurs, son programme est déjà caduc : une majorité de candidats « socialistes » aux législatives s’y opposent. Hamon fait semblant de ne pas l’avoir remarqué. Mais là aussi, la ficelle est un peu trop grosse.

L’élément clé de l’équation, c’est Jean-Luc Mélenchon. Sa candidature peut rallier des millions de jeunes et de travailleurs indécis, à condition de les convaincre que la France insoumise est déterminée à en finir une fois pour toutes avec les politiques d’austérité. La lutte contre les coupes budgétaires, le chômage et la pauvreté devrait constituer l’axe central des interventions publiques de Mélenchon et des autres dirigeants de la France insoumise. Rappelons qu’aux Etats-Unis, c’est sur cette ligne – et sur l’appel à une « révolution politique contre la classe des milliardaires » – que Bernie Sanders a soulevé l’enthousiasme de dizaines de millions d’Américains, l’an dernier. Tous les sondages le donnaient largement vainqueur face à Donald Trump. Il y a là une importante leçon pour Mélenchon et la France insoumise.

Réforme et révolution

Révolution appelle ses lecteurs et sympathisants à voter pour Jean-Luc Mélenchon, le 23 avril, et d’ici là à faire la campagne de la France insoumise. Ce mouvement constitue la seule alternative de gauche massive à un PS discrédité. Tout succès de la France insoumise sera un pas dans la bonne direction.

En même temps, nous avons régulièrement souligné les limites du programme de Mélenchon. Disons-le en termes simples : les nombreuses mesures progressistes de ce programme ne pourraient pas être appliquées dans le cadre du capitalisme en crise. La classe dirigeante ne le permettrait pas. Elle s’y opposerait de toutes ses forces, comme elle s’est opposée, en 2015, au programme progressiste d’Alexis Tsipras, en Grèce. Et pour priver la bourgeoisie des moyens de lutter contre un authentique gouvernement de gauche, il faut l’exproprier, nationaliser les grands moyens de production et mettre le socialisme à l’ordre du jour.

On nous répond parfois : « mais la France n’est pas la Grèce ! » Certes, la France est plus puissante que la Grèce et n’est pas sous transfusion financière de la troïka. Le chantage et les pressions ne prendraient donc pas exactement les mêmes formes. Mais ils s’exerceraient tout de même : aucun doute n’est permis là-dessus. C’est ce que démontre toute l’histoire de la lutte des classes et des différents gouvernements de gauche, à commencer par celui de 1981-83, en France.

Ceci est d’autant plus vrai que la crise du capitalisme a sapé les bases matérielles du réformisme. La classe dirigeante n’est pas disposée à concéder de nouvelles réformes ; elle exige de nouvelles contre-réformes – et se battra becs et ongles pour les obtenir. La lutte pour de sérieuses réformes progressistes ne sera victorieuse qu’à condition de se transformer en une lutte révolutionnaire contre le système capitaliste lui-même.


Sommaire

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