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Cela fait plus de six ans que la droite est au pouvoir, en France. Six ans au cours desquels les travailleurs ont subi une offensive permanente contre leurs droits et leurs conditions de vie. Même si la démolition des conquêtes sociales n’est allée ni aussi loin, ni aussi vite que les capitalistes l’auraient voulu, force est de constater que l’œuvre destructrice des gouvernements se poursuit, et que les « stratégies » des directions syndicales pour la contrer ont échoué. Ceci est vrai non seulement des directions confédérales les plus droitières – comme celles de la CFDT, de FO ou de la CGC –, mais aussi des dirigeants de la CGT et des syndicats de l’Education Nationale.

Ne tournons pas autour du pot. Les gens comme Chérèque et Mailly ont fait la démonstration, à de nombreuses reprises, qu’ils ne sont ni plus ni moins que des agents du patronat dans le milieu syndical. Chérèque déclare ouvertement qu’il souhaite la réussite des « réformes » du gouvernement – en réalité des contre-réformes. Le dirigeant de la CFDT parle et agit comme une sorte de conseiller stratégique de Sarkozy et de son gouvernement. Il met Sarkozy en garde : « N’essayez pas de faire passer trop de réformes à la fois, car il y aurait un risque de coaliser les oppositions, de déclencher un mouvement général. » Quant à Mailly, il utilise une méthode bien rodée, chez les dirigeants de FO, qui consiste à se montrer très offensif, en paroles, mais sans faire le moindre pas dans le sens d’une résistance effective sur le terrain.

La confédération la plus importante, la plus militante, et qui a une capacité de mobilisation potentiellement colossale, c’est la CGT. Pour cette raison, la politique et la stratégie défendues par les instances dirigeantes de la CGT doivent faire l’objet d’un bilan critique sans concession.

Disons d’emblée que ce qui fait la force de la CGT, ce sont ses milliers de syndicalistes aux qualités humaines et militantes extraordinaires. Pour porter le flambeau du syndicalisme dans les entreprises du secteur privé ou dans les services publics, ces camarades donnent sans compter leur temps et leur énergie – souvent au prix de sacrifices considérables. Ils sont en première ligne de tous les combats pour la défense des travailleurs – et, par conséquent, de toutes les formes de répression et de discrimination anti-syndicales auxquelles recourt le patronat.

C’est précisément parmi cette couche de militants – qui forme, pour ainsi dire, la colonne vertébrale de la CGT – que grandit un sentiment de frustration et d’amertume face à la combativité insuffisante et à l’absence totale de stratégie globale de la part des instances nationales. La stratégie qui consiste à réagir au coup par coup aux mesures gouvernementales, à toujours vouloir négocier, « dossier par dossier », et à implorer le gouvernement d’ouvrir des « consultations » sur ses projets ultra-réactionnaires – cette stratégie a mené à une succession de défaites. Face à l’offensive générale et à la politique globale du gouvernement et du MEDEF, la CGT a besoin, elle aussi, d’une stratégie qui vise à fédérer l’ensemble des travailleurs, tous secteurs et toutes catégories confondus, autour d’un programme général, d’une lutte générale contre le pouvoir en place et contre le système qu’il représente. La CGT a besoin – tout autant que le PCF – d’un projet de société, d’une alternative au capitalisme.

Le champ de vision de la direction de la CGT ne dépasse pas le cadre du système capitaliste. Sous prétexte de ne « pas faire de politique », elle ne veut même pas s’opposer franchement à l’ensemble de la politique du gouvernement. En conséquence, la CGT est politiquement et stratégiquement désarmée face à ses ennemis.

L’idée d’un syndicat « non politique » est un non-sens et un leurre. Bien évidemment, les syndicats doivent conserver leur indépendance organisationnelle. Mais cela ne signifie nullement qu’un syndicat doit se cantonner à une fonction purement défensive vis-à-vis du système capitaliste, comme si ce système était un ordre social permanent, incontestable, donné une fois pour toutes.

Offensive idéologique capitaliste

Ce positionnement soit-disant « apolitique » est en fait lui-même politique, comme tout autre positionnement syndical. Simplement, ce n’est pas la même politique que celle que défendait la CGT, par le passé. Il y a une trentaine d’années, non seulement la CGT, mais aussi la CFDT, se proclamaient publiquement et ouvertement pour l’abolition du capitalisme, pour le socialisme. Les débats, au sein de ces confédérations, portaient sur la question de savoir comment renverser le capitalisme. Mais depuis, les syndicats – tout comme le PS et le PCF – ont subi les conséquences de la puissante offensive idéologique réactionnaire qui a marqué les années 90, suite à l’effondrement de l’URSS. En France, le discrédit du « socialisme » a par ailleurs été aggravé par le bilan des gouvernements qui, bien que nominalement « socialistes » ou « socialistes-communistes », ont appliqué une politique dans l’intérêt des capitalistes, sur toutes les questions essentielles.

Lorsque l’objectif est de faire plier un gouvernement ou un employeur, des grèves d’une journée ne sont généralement d’aucune efficacité. Cela ne veut pas dire que des grèves de 24 heures n’ont aucune utilité. Mais cela signifie qu’en général, cette utilité se limite à celle d’une opération de reconnaissance, pour ainsi dire : on teste le degré de préparation et de détermination de notre camp, en vue d’une action plus longue ou plus « dure ». La seule chose qui inciterait un gouvernement ou un capitaliste à céder face à une grève de 24 heures – même quand elle est massivement suivie –, c’est la certitude qu’elle n’est que le prélude d’une action illimitée.

Ces temps-ci, les directions confédérales tendent à user et abuser des journées d’action et des mobilisations ponctuelles, qu’elles présentent comme des formes d’actions susceptibles, à elles seules, de faire reculer l’adversaire. Cela mène à l’épuisement de l’esprit militant des salariés, dont beaucoup sont convaincus – à juste titre – que les syndicats les appellent à l’action « pour marquer le coup », de façon symbolique, sans aucune perspective réelle de victoire. C’est pour cette raison que les grèves et les « journées d’action » contre le dernier volet de la réforme des retraites ou pour la défense des 35 heures ont insuffisamment mobilisé, alors que les enjeux étaient très importants. Les travailleurs comprennent que des actions de ce type ne changent rien. Elles n’aboutissent qu’à dissiper leur énergie – et des heures de salaire, sur la feuille de paye. Par ailleurs, la mobilisation pour défendre les 35 heures était d’autant plus compromise que les directions de la CGT et de la CFDT avaient déjà accepté une remise en cause des 35 heures dans le cadre de l’accord sur « la représentativité syndicale ». Beaucoup de travailleurs ont dû se demander : à quoi bon se lancer dans une bataille, si nos propres dirigeants ont déjà cautionné les mesures contestées ?

Le capitalisme signifie des attaques incessantes contre les travailleurs et la destruction des acquis sociaux. Les attaques repoussées aujourd’hui seront renouvelées demain. En conséquence, il faut abandonner la conception erronée d’un syndicalisme qui se limite à la seule défense des salariés face au système capitaliste, aux seules questions « immédiates », sans s’engager dans la lutte – nécessairement politique – pour en finir avec ce système. A notre époque, la rapacité des capitalistes et de leurs gouvernements est telle qu’un syndicat qui ne veut pas lutter contre la propriété capitaliste – sous prétexte de ne pas « faire de politique » – ne peut pas défendre correctement et durablement les intérêts des travailleurs. Si on laisse le capitalisme debout, il finira par détruire toutes les conquêtes syndicales et politiques des générations précédentes.

La faillite de la « modération »

Des responsables syndicaux avancent parfois l’idée qu’il ne sert à rien de « parler de révolution » aux travailleurs, puisque ceux-ci « ne veulent même pas se mettre en grève. » Mais dans la plupart des entreprises, le simple fait de prendre contact avec un syndicat, sans parler d’y adhérer, expose le salarié à des mesures d’intimidation, de harcèlement, voire à la perte de son emploi. Si le salarié en question est en CDD, celui-ci risque de ne pas être renouvelé. Si ce salarié est en temps partiel imposé, et dépend du bon vouloir de la direction pour faire davantage d’heures, il n’en aura plus. Cette pratique est très courante dans les magasins et la grande distribution en général, pour ne citer qu’un secteur parmi beaucoup d’autres. Dans une boutique de prêt-à-porter, une vendeuse n’a souvent que 5 heures par semaine sur son contrat, mais travaillera 10, 15, 20 ou 25 heures, selon le niveau d’activité du magasin. Ainsi s’établit une concurrence entre les vendeuses, pour savoir qui aura « des heures » et qui n’en aura pas. Inutile de dire que le fait de participer à une grève ou de se mettre en rapport avec un syndicat porte un coup fatal aux millions de salariés qui sont en CDD ou confrontés à ce type de situation.

Ainsi, cette population surexploitée et précaire est généralement difficile à mobiliser pour des actions de grève ponctuelles et limitées. Mais paradoxalement, nombre d’entre eux seront ouverts et réceptifs à des idées et à un programme révolutionnaires, pour peu que ceux-ci leur soient correctement expliqués. Ils comprendront également la nécessité d’une véritable grève générale pour contribuer à la réalisation de ce programme. La modération apporte encore moins à ces travailleurs qu’aux autres. Faute de marge de manœuvre et de sécurité, c’est « tout ou rien », pour ces salariés.

L’échec de la stratégie de la direction de la CGT est patent. Il faut changer de cap. Au lieu de rechercher sans cesse le dialogue et la concertation avec le gouvernement, il faut s’opposer franchement, sur toute la ligne, à tous les projets rétrogrades de Sarkozy. N’ayons plus peur de franchir la ligne jaune de la propriété capitaliste. Prenons exemple sur les travailleurs vénézuéliens, qui font revivre, sur le sol latino-américain, les meilleures traditions de la CGT. Dans les entreprises menacées de fermeture, la CGT devrait inciter les travailleurs à en prendre le contrôle, à occuper les usines, en les soutenant et en luttant à leurs côtés pour que les entreprises en question soient nationalisées, sans indemnités pour les capitalistes.

Actions ponctuelles qui ne mènent à rien

Arrêtons aussi d’abuser des journées d’action et des grèves de 24 heures. Il vaut mieux conserver l’énergie et la combativité des travailleurs pour des actions illimitées, qui seules ont une chance d’aboutir, dans le contexte actuel. Enfin, la CGT doit s’efforcer d’ouvrir les yeux des travailleurs sur le fait qu’ils peuvent, qu’ils doivent en finir avec le capitalisme. Il faut leur expliquer que l’économie – les banques, les organismes de crédit, les assurances, les industries, la grande distribution, les télécommunications et les grands médias – doivent être arrachés des mains des capitalistes et placés sous le contrôle direct et démocratique des travailleurs eux-mêmes. Ceci permettrait une planification rationnelle et démocratique de l’économie au bénéfice de l’ensemble de la société. Ce système-là, c’est le socialisme, et le socialisme est la seule façon d’en finir avec le capitalisme et la régression sociale permanente qu’il impose.

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