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Ali Algul est délégué syndical (CGT) chez Carrefour Bercy 2, à Charenton-le-Pont (Val-de-Marne).


Révolution : Quelle est la situation sociale chez Carrefour, ces dernières années ?

Ali Algul : Il y a trois ans, l’ex-PDG du groupe Fnac-Darty, Alexandre Bompard, a pris la direction du groupe Carrefour. Très vite, il a annoncé son « plan Bompard 2022 » : réduction des surfaces de vente (et donc des effectifs) ; fermeture des magasins qui ne sont pas rentables ; mise en location-gérance des magasins « insuffisamment rentables ». Dans ces derniers, les accords conclus entre Carrefour et les syndicats ne sont plus appliqués au bout de deux ou trois ans, selon les cas.

Lorsque les salariés des magasins en location-gérance doivent renégocier un accord, le résultat dépend du rapport de force. Si les syndicats y sont puissants, ils peuvent négocier de bons accords. Mais c’est rare. Le plus souvent, les salariés perdent des primes et d’autres avantages, notamment en matière de congés.

Depuis 2018, on a comptabilisé 23 000 suppressions de postes, dans le groupe, sous la forme de licenciements, de non-remplacement de départs à la retraite et de départs « volontaires ». Carrefour n’a pas attendu la crise sanitaire pour supprimer des milliers de postes. C’est d’ailleurs le cas dans tous les groupes de la grande distribution : Auchan, Leclerc, Monoprix, etc.

Ces réductions d’effectifs s’appuient sur des innovations technologiques : caisses automatiques, croissance de la vente en ligne, progrès logistiques... Comme toujours, les progrès technologiques ne profitent qu’aux actionnaires. Les salariés, eux, perdent leur emploi ou subissent une dégradation de leurs conditions de travail.

Quel a été l’impact de la crise sanitaire dans l’entreprise ?

Au début du premier confinement, les salariés étaient très mal protégés. Il n’y avait pas de masques et pas d’écran de protection aux caisses. Des salariés – ou leur conjoint – sont morts. La période était très dure. Les salariés venaient travailler la peur au ventre. La CGT a exigé de meilleures protections, et notamment une limitation du nombre de clients dans les magasins.

A l’époque, Alexandre Bompard glorifiait le travail des salariés. Il avait de quoi être satisfait : en 2020, Carrefour a réalisé son meilleur chiffre d’affaires depuis plus de 10 ans. Les profits ont bondi de 16 %. Qui en a profité ? Les actionnaires, bien sûr, qui ont touché 183 millions d’euros de dividendes en 2020. Quant aux salariés, ils ont dû se contenter d’une prime de 1000 euros.

Lors des Négociations Annuelles Obligatoires, la direction de Carrefour a « remercié » les salariés en leur proposant une augmentation de salaire de 0,3 % : moins de 10 centimes de l’heure (pendant que Bompard, lui, gagne 20 000 euros par jour). Finalement, l’augmentation a été fixée à 0,5 %. Pour la CGT c’est inacceptable. 80 % des caissières sont à temps partiel, chez Carrefour, et gagnent autour de 800 euros par mois.

Autre scandale : lors du deuxième confinement, Carrefour a énormément abusé du chômage partiel, de façon à toucher l’argent de l’Etat en réduisant les effectifs dans les magasins – malgré une charge de travail plus importante ! Une équipe de salariés travaillait trois jours dans la semaine, puis basculait en chômage partiel pendant qu’une autre équipe prenait le relai, etc. Pendant ce temps, le ministre de l’Economie, Bruno Lemaire, demandait aux entreprises  bénéficiant du chômage partiel de ne pas verser de dividendes.

Enfin, la direction de Carrefour a profité de la pandémie pour mettre en place le projet « TOP », dont l’objectif est simple : réduire les frais de personnel. Au lieu de commencer à 3 ou 4 heures du matin, les salariés qui remplissent les rayons, dans les magasins, doivent désormais commencer à 6 heures. Or les heures de nuit (jusqu’à 6 heures) sont majorées de 30 %. C’est donc autant d’économisé, pour Carrefour. Mais outre les baisses de salaire qu’il entraîne, le projet TOP désorganise la vie des salariés concernés, notamment leur vie familiale. Il crée aussi toutes sortes de problèmes dans les magasins, car lorsque les clients arrivent, les rayons ne sont pas encore pleins, il y a des palettes partout, ce qui génère du stress et des tensions entre salariés et clients…

Face à tous ces problèmes, on organise une journée d’action nationale, le 5 mars, et un grand rassemblement devant le siège de Carrefour, à Massy. On exige de meilleurs salaires, de meilleures conditions de travail et l’abandon du projet « TOP ».

Dans son programme, Révolution défend l’idée de nationaliser la grande distribution. Qu’en penses-tu ?

Par le passé, je pensais qu’il y avait d’autres secteurs à nationaliser en priorité : l’énergie, l’eau, les biens communs. Mais avec le recul, je dirais qu’on ne peut pas se contenter de nationaliser les moyens de production. Les moyens de distribution doivent aussi faire partie des biens publics. Après tout, c’est indispensable si on veut nourrir correctement le peuple.

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