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Lula

L’élection aux présidentielles de Lula, candidat du Parti des Travailleurs (PT), constitue une défaite non seulement pour la classe capitaliste brésilienne, mais aussi pour les grandes puissances impérialistes du monde, les Etats-Unis en tête. Elle marque par ailleurs, dans le sillon des mouvements en Argentine, au Venezuela, en Uruguay, Paraguay, Bolivie et Equateur, une nouvelle étape dans le soulèvement des peuples d’Amérique Latine contre la vague de privatisations et déréglementations dont ils ont tellement souffert pendant les dix dernières années.

L’énorme soif de changement, surtout dans les couches les plus pauvres de la société brésilienne, a permis au candidat du PT de récolter plus de voix que n’importe quel président dans toute l’histoire du pays. Pour la première fois, un ancien ouvrier, un homme issu des milieux sociaux les plus modestes, amène la gauche au pouvoir au Brésil. Fort de sa victoire écrasante sur les partis de "l’ancien régime", fort de ses dizaines de millions de voix, Lula a maintenant une opportunité historique d’éradiquer la pauvreté et l’extrême injustice sociale qui sévissent dans un pays qui possède pourtant de grandes ressources économiques. On estime que 53 millions de brésiliens, soit un tiers de la population, vivent sous le seuil de pauvreté. Par ailleurs, le taux de chômage augmente régulièrement - officiellement 8% en 2002, contre 6% il y a quatre ans.

Dette et restrictions budgétaires

Cependant, dans une de ses premières déclarations, Lula a affirmé qu’il allait "respecter les engagements du président sortant concernant la dette extérieure du pays ainsi que les objectifs budgétaires du gouvernement définis avec le Fonds Monétaire International (FMI)". La dette du Brésil s’élève désormais à 260 milliards de dollars, dont une bonne partie a été contractée par l’ancien président Cardoso dans sa vaine tentative de soutenir la monnaie brésilienne, le réal, avant sa dévaluation en 1999. Cette dette représente maintenant 62% du produit intérieur brut (PIB) du Brésil. Autrement dit, près des deux tiers de tout ce qui le pays produit en une année doit être alloué au remboursement des banquiers et autres prêteurs, ce qui compromet sérieusement l’économie du pays.

Comme tout débiteur le sait bien, plus on emprunte, et plus on a besoin d’emprunter. Confronté au paiement des intérêts de la dette - qui augmentent à chaque fois que le réal perd de la valeur par rapport dollar, la dette étant surtout en dollars - le gouvernement n’a pas pu s’appuyer sur les revenus fiscaux, ceux-ci étant en diminution du fait de la crise économique. Du coup, il a été contraint d’aller quémander auprès du FMI, et d’augmenter ainsi le fardeau de sa dette. En outre, en échange de ses milliards, le FMI a la fâcheuse habitude de demander aux gouvernements de diminuer radicalement leurs dépenses, de façon à pouvoir rembourser ses créditeurs - dont le FMI ! Telle est la situation à laquelle Lula doit faire face. Il ne pourra pas fournir à la majorité de la population des emplois, des terres et des logements tout en respectant les limitations budgétaires imposées par les argentiers de Washington.

Il est clair, à présent, que la direction du PT a viré à droite, abandonnant toute volonté de remplacer le capitalisme - la véritable source des inégalités sociales - par le socialisme. Les déclarations "rassurantes" de Lula le rapprochent de n’importe quel dirigeant social-démocrate européen, tel Hollande ou Schröder. Mais ce ne fut pas toujours le cas. Le PT a été créé pendant les luttes syndicales (surtout dans la métallurgie) contre la dictature des années 70. Au debut de son existence, le PT se prononçait pour une "transformation socialiste de la société", et son slogan, aux élections de 1982, était :"Votez PT - tous les autres sont des bourgeois !". Cependant, dans tous les partis de gauche, l’élément décisif n’est pas la direction mais la base. Et il est clair que le PT a une base solide dans la classe ouvrière et la paysannerie. C’est eux qui ont élu Lula, et s’ils voient que la direction du parti ne fait rien pour changer leur situation, ils peuvent se mobiliser à l’intérieur du parti pour changer la direction.

Le PT sous pression

Nous sommes donc, dans l’histoire du Brésil, à une croisée des chemins. Devant la dégénérescence et l’impopularité des partis capitalistes, qui ont amené le pays au bord de la faillite, la classe dirigeante a été contrainte d’accepter à la présidence un parti profondément ancré dans le salariat. C’est là une preuve de la faiblesse des capitalistes brésiliens, et cela démontre qu’ils ne peuvent plus tromper le peuple avec leurs propres dirigeants et partis politiques. Dans le passé, une telle victoire de la gauche aurait suscité bien des velléités putschistes, mais, cette fois-ci, la classe dirigeante n’a d’autre option que de tenter de corrompre et contrôler la direction du PT. Elle voudrait que le PT use de son autorité pour faire le "sale boulot" - politique d’austérité, restrictions budgétaires, etc. - et remette de l’ordre dans les finances du pays. Une fois cette besogne achevée, le PT serait discrédité, et elle pourrait envisager de ramener les partis de droite aux affaires.

Cependant, encore une fois, Lula n’est pas le PT. Ce parti suscite l’espoir de millions de travailleurs industriels et paysans qui feront tout pour soutenir " leur " gouvernement contre les intérêts du capitalisme international, et pourraient même se mobiliser pour l’"aider" à mettre en place une politique conforme à leurs intérêts. La situation est très bien résumée par un consultant politique basé à Brasilia, Carlos Lopez : "Les radicaux se sont tu pendant toute la campagne mais ils vont bientôt présenter la note". En France, pendant le Front Populaire de 1936, la grève générale des travailleurs français avait pour objectif d’"aider" le gouvernement de Léon Blum à engager des réformes (semaine de 40 heures, congés payés etc.). Il se pourrait que le mouvement social, au Brésil, joue un rôle semblable. Mais, en fin de compte, les travailleurs du Brésil, avec ou sans Lula, doivent opter pour une transformation socialiste de la société et une rupture complète avec le système capitaliste, c’est-à-dire pour la nationalisation, sous leur contrôle démocratique, des banques, des grandes industries et de la terre.

Une transformation le socialiste de la société, au Brésil, redynamiserait les luttes au Venezuela, en Argentine, et dans tout le continent sud-américain, ce qui ouvrirait la voie à la construction d’une fédération socialiste des États d’Amérique Latine, seule solution face à la domination impérialiste du continent et à la misère qui en découle.

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