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« La société capitaliste est et a toujours été une horreur sans fin » (Lénine)

La crise des réfugiés met en évidence certaines des horreurs de la société capitaliste. Elle révèle aussi le contraste entre la solidarité élémentaire des travailleurs et les calculs froids, cyniques, des dirigeants bourgeois en Europe et au-delà.

Les images d’hommes, femmes et enfants qui fuient les horreurs de la guerre civile, la faim et la destruction, qui meurent en mer ou dans des camions, qui s’exposent aux fils barbelés, aux polices antiémeutes, aux camps de détention, aux expulsions forcées – ces images choquent des millions de personnes et les poussent à réfléchir aux causes fondamentales de cette situation, ainsi qu’à ses remèdes.

Notre premier devoir est d’expliquer les origines de cette crise. Les réfugiés fuient des pays qui ont sombré dans la guerre civile. Le plus grand nombre de ceux qui passent par la Grèce et la Hongrie viennent de Syrie, d’Afghanistan et du Kosovo. Les guerres et l’ingérence impérialistes sont directement responsables de la situation catastrophique dans ces pays.

La défaite du soulèvement populaire en Syrie et le développement d’une insurrection réactionnaire furent le résultat de l’intervention des Etats du Golfe, de l’Arabie Saoudite et des impérialismes américains, britanniques et français. L’ascension de l’Etat Islamique est la conséquence directe de l’intervention impérialiste en Irak. La guerre civile en Afghanistan trouve sa source dans la guerre impérialiste commencée en 2001 – et avant cela dans le soutien et le financement des moudjahidines par l’Arabie Saoudite et les Etats-Unis. La situation au Kosovo est, au fond, la dernière conséquence du démembrement réactionnaire de la Yougoslavie, il y a plus de 20 ans – démembrement qui fut fomenté et encouragé par l’impérialisme allemand.

Les impérialistes sont responsables de la situation actuelle, qui pousse des millions de personnes à fuir leur pays ; mais ils ne sont pas disposés à en assumer les conséquences.

Le bombardement de la Lybie – sous couvert d’« urgence humanitaire » – a provoqué l’effondrement de son Etat. De grandes parties du territoire sont dirigées par les fondamentalistes islamiques. Certes, le régime de Kadhafi était une dictature brutale. Il collaborait avec la politique migratoire réactionnaire de l’UE (en échange de subsides) et maintenait des migrants d’Afrique subsaharienne dans d’infâmes camps de détentions. Cependant, nous avons toujours souligné qu’il appartenait aux masses libyennes de renverser Kadhafi. Chaque fois que des tels régimes ont été renversés par des interventions impérialistes, cela a débouché, non sur des « démocraties modernes », mais sur la barbarie. La chute de Kadhafi a simplement abouti à l’émergence d’autres forces réactionnaires et au démembrement du pays. Cela a ouvert une route vers les îles italiennes, qui ne sont pas très loin des côtes libyennes.

De notre point de vue, il n’y a aucune différence fondamentale entre réfugiés et migrants. Tous fuient les horreurs engendrées par le capitalisme dans leur pays d’origine. Certains y sont victimes de la guerre civile et d’atteintes aux droits de l’homme ; d’autres tentent d’échapper à la faim et à la misère. Dans la plupart des cas, il s’agit d’une combinaison des deux – la misère engendrée par la guerre, la violation des droits de l’homme les plus élémentaires : avoir un toit sur la tête et un repas sur sa table.

Aujourd’hui comme hier, la réponse de l’Union Européenne a consisté à construire des murs et d’autres systèmes de contrôle de plus en plus sophistiqués. En 15 ans, l’UE a dépensé 1,6 milliard d’euros dans des barrières physiques et économiques pour empêcher les migrants d’entrer. Quatre grandes multinationales ont bénéficié de ces contrats juteux : Airbus, Thales, BAE et Finmeccanica. Ces entreprises figurent toutes parmi les 10 plus grands industriels de l’armement. Au cours de la même période, l’UE et les pays de l’espace Schengen ont dépensé 11 milliards d’euros dans des expulsions coordonnées (qui ne représentent qu’une petite partie de la totalité des expulsions). Les capitalistes se félicitent de la chute du mur de Berlin, mais ils construisent des murs à Ceuta, à Mellila, en Serbie, en Bulgarie – et désormais en Hongrie. De grandes quantités d’argent sont également dépensées pour subventionner des camps de détention hors de l’UE.

C’est cette politique d’Europe forteresse qui pousse des centaines de milliers de migrants et de réfugiés dans les bras de « passeurs ». C’est un business très lucratif. D’après certaines estimations, les migrants ont payé 1 milliard d’euros par an sur les 15 dernières années – et 30 000 sont morts. Depuis le début de l’année, plus de 2500 se sont noyés dans la Méditerranée. Plus l’Europe renforce ses frontières, plus les voies d’entrée illégales deviennent dangereuses. Les médias bourgeois concentrent leur feu sur les passeurs, comme s’ils étaient la seule cause du problème. Certes, il s’agit de gangs criminels qui n’ont aucun égard pour la vie humaine et ne s’intéressent qu’au profit qu’ils tirent de leur activité. C’est d’ailleurs une caractéristique du capitalisme en général. Mais ce ne sont pas les passeurs qui créent les réfugiés et les migrants. Ils profitent simplement d’un mouvement migratoire – et des tentatives de l’UE de l’interrompre en élevant des barrières toujours plus hautes et infranchissables.

Sur cette question, la véritable attitude des politiciens bourgeois était bien résumée par le Premier ministre britannique David Cameron, l’an dernier, lorsqu’il a expliqué qu’il fallait mettre un terme aux opérations de recherche et de secours dans la Méditerranée, car cela « crée un appel d’air » et « encourage davantage de migrants à tenter cette dangereuse traversée ». Et ils ont effectivement interrompu ces opérations. L’ancienne mission européenne de recherche et de secours, qui était dirigée par l’Italie, a été remplacée par la mission « Triton », qui se limite à des opérations de « garde-côte ».

Cela ne signifie pas que les capitalistes sont contre l’immigration. De leur point de vue, les travailleurs migrants sont très utiles. A un pôle, ils sont une source de main-d'œuvre hautement qualifiée dont la formation n’a rien coûté aux patrons européens. A l’autre pôle, les migrants fournissent une main-d'œuvre illégale qu’une section de la classe dirigeante exploite brutalement, sans aucun égard pour le droit du travail, ce qui par ailleurs exerce une pression à la baisse sur l’ensemble des salaires. Les migrants constituent enfin de parfaits boucs-émissaires pour justifier les coupes dans les services publics, le manque de logements sociaux – et toute la régression sociale dont la crise du capitalisme et les politiques d’austérité sont les véritables causes. Le mouvement ouvrier doit répondre par une politique d’unité de classe claire et une lutte commune pour de meilleures conditions de vie et de travail.

L’actuelle crise des réfugiés n’est pas vraiment liée au nombre de personnes cherchant un asile en Union Européenne. L’Allemagne est le pays qui a reçu le plus grand nombre de demandes d’asile, mais ce nombre est moins élevé qu’au début des années 90, à l’époque de l’éclatement de la Yougoslavie. La crise actuelle est liée aux écœurantes dissensions entre « partenaires » européens, dissensions qui portent sur le prix politique et financier de l’afflux de migrants. Au fond, c’est un nouvel épisode de la crise de l’UE elle-même.

La Grèce et l’Italie sont les deux premières destinations des migrants et réfugiés qui traversent la Méditerranée. Cela va très bien aux gouvernements des autres pays de l’UE. La dernière « crise » a commencé lorsque les migrants ont commencé à s’organiser et à passer en force à travers les frontières de la Macédoine, de la Serbie et de la Hongrie, où ils ont tenté de poursuivre leur voyage vers l’Allemagne ou la Suède, les deux pays qui reçoivent le plus grand nombre de demandes d’asile (en nombre absolu dans le cas de l’Allemagne, relativement à la population dans le cas de la Suède).

En Allemagne, la question de l’immigration exerce une pression politique sur Merkel. Elle demande que d’autres pays prennent leur « juste part » du nombre de réfugiés. La Grande-Bretagne a répondu, en somme, qu’elle n’en accueillerait aucun, mais qu’elle était prête à doubler ce chiffre sous la pression. Dans toute l’Europe, les gouvernements de droite subissent la pression de partis qui défendent des idées ouvertement nationalistes, racistes et anti-immigrés. En réalité, ces idées ne reflètent pas l’opinion de la majorité des travailleurs. Elles ne gagnent un certain soutien que sur la base d’une propagande médiatique constante – et, surtout, parce que les dirigeants du mouvement ouvrier (partis et syndicats) n’y répondent pas, ou pas correctement.

Ces derniers jours, nous avons assisté à une vague massive de solidarité et de soutien concret aux réfugiés. Cet été, en Grèce, les touristes et habitants des îles ont aidé les réfugiés provenant de Turquie. En ex-Yougoslavie, les gens se souviennent de leur propre histoire ; ils ont aidé les réfugiés à Belgrade et dans d’autres villes. Même dans l’ambiance réactionnaire qui existe actuellement en Hongrie, des douzaines de volontaires ont aidé les réfugiés en gare de Budapest. Des milliers de personnes ont manifesté contre la politique réactionnaire d’Orban. Dans les stades de football d’Autriche et d’Allemagne, les supporters ont brandi des bannières de soutien aux réfugiés. Le mouvement a été particulièrement fort en Autriche : 30 000 personnes ont manifesté à Vienne, avant d’organiser le soutien pratique et matériel des réfugiés qui arrivaient en train. A présent que les autorités hongroises ont bloqué les trains, des volontaires autrichiens organisent des convois de voitures et de bus pour aller chercher les réfugiés.

En Espagne, face à l’inaction du gouvernement du PP, la mairie de Barcelone (Unité Populaire) a pris des initiatives pour organiser l’accueil des réfugiés. L’appel du conseil municipal a rencontré un énorme écho ; des centaines de personnes se sont portées volontaires. Cela a entraîné la formation d’un réseau de comités locaux d’accueil des réfugiés.

En Grande-Bretagne, 100 000 personnes – à ce jour – se sont engagées à participer à une manifestation de soutien aux réfugiés, le 12 septembre à Londres. D’autres manifestations seront organisées à travers le pays. En l’espace de deux jours, une pétition demandant que la Grande-Bretagne accueille davantage de réfugiés a rassemblé 400 000 signatures.

Partout, cela devient une question politique de première importance. C’est évidemment une réaction directe aux images, diffusées ces derniers jours, de l’enfant syrien gisant sur une plage turque et des 71 personnes mortes asphyxiées dans un camion en Autriche.

Mais il y a plus que cela. Ce mouvement de solidarité fait partie d’un profond courant de méfiance et d’opposition à l’égard des politiciens bourgeois et de l’establishment. C’est le même courant qui a suscité le phénomène Podemos en Espagne, l’énorme impact de la campagne de Corbyn en Grande-Bretagne, ou encore les grandes manifestations contre l’austérité vues durant la dernière période.

Le mouvement de soutien aux réfugiés peut menacer les fondements mêmes du système capitaliste. Cependant, pour qu’il se développe, deux choses sont nécessaires.

Premièrement, il faut mobiliser la pleine puissance de la classe ouvrière et de ses organisations. Les syndicats ont le nombre et les moyens d’organiser la solidarité pratique sur des bases sérieuses. Ce sont des travailleurs qui conduisent les trains bloqués et pilotent les avions qui servent aux expulsions. Il faut faire pression pour rompre la passivité des dirigeants des organisations officielles des travailleurs. Le mouvement de solidarité a déjà élaboré ses propres structures organisationnelles, à juste titre. Mais pour qu’il aille plus loin, il est crucial qu’il implique la classe ouvrière organisée.

Deuxièmement, les arguments politiques doivent être précisés et développés. L’instinct de solidarité humaine est un bon point de départ. Mais il faut répondre efficacement à la propagande raciste des grands médias. Qui doit payer ? Il faut être clair là-dessus. La classe dirigeante utilise et continuera d’utiliser la question des réfugiés pour diviser la classe ouvrière et lui faire porter le chapeau des coupes drastiques dans les dépenses publiques. Nous disons : NON, les réfugiés sont bienvenus – et c’est aux capitalistes, aux banquiers, aux marchands d’armes de payer. Ils ont trouvé des milliers de milliards d’euros pour sauver les banques ; pourquoi ne pourraient-ils pas trouver des milliards d’euros pour accueillir les migrants et réfugiés ?

D’où viendra l’argent pour financer les écoles, les logements et les soins dont ils ont besoin ? Une première mesure consisterait à taxer les marchands d’armes qui ont fait d’énormes profits dans les guerres impérialistes. Par ailleurs, tous les logements vides que possèdent les banques et multinationales doivent être expropriés, sans compensation, pour héberger les réfugiés et les SDF locaux. C’est aux capitalistes de payer les conséquences des guerres et de l’exploitation impérialistes.

Le mouvement de solidarité qui traverse l’Europe est une réponse à tous les cyniques et démagogues de droite qui dépeignent les travailleurs comme des individus égoïstes et cupides. Les travailleurs ne sont pas stupides. Ils voient bien qui est responsable de cette crise humanitaire. Ils voient la contradiction flagrante d’un système qui a trouvé les moyens de financer des guerres en Irak, en Lybie, en Afghanistan, etc., mais qui prétend ne pas avoir les moyens d’aider les millions de personnes fuyant les conséquences de ces mêmes guerres.

Le mouvement ouvrier et ses organisations doivent également apporter une réponse à la pauvreté croissante en Europe, où une section significative des travailleurs et de la jeunesse a vu son niveau de vie reculer. Le chômage augmente ; les salaires et les retraites ont baissé. Si le mouvement ouvrier ne livre pas ce combat, les démagogues de droite vont en profiter pour opposer les pauvres d’Europe aux migrants et réfugiés. La classe dirigeante utilisera cette question pour diviser les travailleurs. Nous ne devons pas le permettre.

La société dispose d’assez de ressources pour répondre aux besoins de ceux qui fuient les guerres et la faim. D’après de récentes données, il y a 11 millions de logements vides en Europe. Cela suffirait à garantir des logements bon marché aussi bien pour les pauvres et les SDF d’Europe que pour les migrants. La question n’est pas : « des logements pour nous ou pour eux ». Il y en a assez pour tous.

Si des millions de gens ont faim à travers le monde, si des centaines de milliers meurent de maladies soignables, si des centaines de millions n’ont pas accès à une éducation et une santé de base, ce n’est pas à cause des flux migratoires. C’est à cause d’un système qui repose sur la course aux profits. Il y a assez de ressources pour résoudre tous ces problèmes. L’expropriation des grandes multinationales, sous le contrôle démocratique des travailleurs, permettrait de satisfaire les besoins du plus grand nombre – et non plus la soif de profits d’un petit nombre de parasites que personne n’a élus.

Les nombreuses guerres locales et civiles en cours sont la conséquence de la crise du système capitaliste. La guerre est terriblement profitable… pour une poignée de capitalistes ultra-riches. Mais elle inflige de terribles souffrances aux masses. Tant que le capitalisme survivra, ces souffrances perdureront. C’est un puissant argument en faveur de la lutte internationale des travailleurs pour le renversement du capitalisme et pour le socialisme mondial.

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