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Raoul Hedebouw (PTB) et Elio Di Rupo (PS)
Raoul Hedebouw (PTB) et Elio Di Rupo (PS)

Nous vivons véritablement une époque de changements brusques et de tournants soudains. Ce qui semblait solide hier se liquéfie aujourd’hui ; ce qui paraissait inébranlable il y a encore quelque temps  est secoué de la tête aux pieds en quelques jours ; l’impossible devient possible et l’inimaginable réalité. La Belgique, pays où la vitesse des changements se mesurait naguère en années, voire en décennies, n’échappe pas à ce processus. 

Le résultat du dernier sondage publié dans l’Echo [1] reflète  un mouvement caractéristique des temps de tempête politique. Pour la première fois, le Parti du Travail de Belgique (PTB) est donné premier parti en Wallonie, troisième à Bruxelles ; grâce à une percée plus modeste mais nette en Flandre, le parti de Raoul Hedebouw pourrait devenir le premier parti de Belgique. Il serait alors à égalité avec la N-VA. Selon les sondages, le PTB obtiendrait 24,9 % en Wallonie, 14,1 % à Bruxelles et 7,3 % en Flandre, ce qui porterait son nombre de députés à 26 (dont 6 en Flandre). Exactement le même nombre de sièges que la N-VA.

Une tendance lourde

C’est tout simplement historique. Jamais un parti à gauche de la social-démocratie n’a obtenu un tel appui électoral. Les communistes du PCB/KPB ont connu des poussées fortes en 1932 et 1936 doublant, voir triplant leur score pour atteindre 6,6 % et 9 députés. Les luttes sociales insurrectionnelles de 1932 et 1936, sur lesquelles le POB (le PS de l’époque) avait perdu la mainmise, et l’avènement du fascisme en Allemagne ont alors mené beaucoup de travailleurs vers le PCB. Juste après la Seconde Guerre mondiale, le rôle des communistes dans la résistance, le prestige de l’Union soviétique victorieuse de l’Allemagne nazie et le puissant désir de changement social et politique décuplent son score. En 1946, il obtient alors 23 élus au parlement, soit 12,7 % des voix.

Aujourd’hui, la percée du PTB s’inscrit dans une tendance générale de rejet du statu quo et de l’austérité en Europe, qui a porté Podemos en Espagne, la France insoumise en France ou Jeremy Corbyn en Grande-Bretagne. L’année 2008, celle de l’éclatement de la nouvelle crise du capitalisme, est un moment charnière dans la politique mondiale. Elle a inauguré un changement profond dans la conscience de la population, en particulier parmi les jeunes travailleurs, étudiants, précaires et chômeurs. Aux Etats-Unis, ce changement d’attitude explique l’envolée de Bernie Sanders, la popularité du « socialisme » et un puissant regain de l’activisme social.

En revanche, les partis socialistes réformistes de droite sont partout en crise, voire en voie de disparition, comme le PASOK ou le PS français. Tout comme le PVDA hollandais (les socialistes des Pays-Bas) qui n’est plus que le 5e parti du pays, en France, le PS n’est pas la victime de scandales du style Publifin mais du rejet par sa base de la politique libérale et austéritaire qu’il a menée depuis des décennies. Au-delà des scandales, il existe donc une raison plus forte au déclin des PS : leurs politiques pro-capitalistes, qui frappent de plein fouet leur base sociale, désormais prête à chercher une alternative politique.

Les conditions belges

Il existe aussi des conditions typiquement belges à l’origine du succès du PTB. En premier lieu, 30 années de participation gouvernementale ininterrompue des partis socialistes aux niveaux fédéral et régional, des gouvernements d’austérité qui ont aliéné la base traditionnelle des socialistes.

Puis il y eut, depuis 2014, 2 ans et demi de luttes syndicales – sans pareil au cours des trois dernières décennies –  contre le gouvernement homogène de droite. Ces luttes interprofessionnelles, aussi bien dans le Nord que dans le Sud du pays, ont incarné l’énorme mécontentement lié à la détérioration des conditions de travail et de vie de la population travailleuse et précarisée. Le PS et le SP.a (Socialisten en Progressieven anders - Parti socialiste flamand) étaient largement absents de ces mobilisations ; le PTB s’y trouvait comme un poisson dans l’eau. Suite à l’échec de ces combats, dû essentiellement à la stratégie de conciliation des directions syndicales, le mouvement a reflué. Mais le mécontentement demeure, lui, intact. On assiste ainsi aujourd’hui à un phénomène bien connu de déplacement du terrain de lutte vers le politique, sans pour autant abandonner complètement le terrain syndical : les travailleurs tentent de réaliser politiquement ce qu’ils avaient voulu obtenir sur le plan syndical.

C’est dans ce contexte que le PTB commence sa forte montée dans les sondages, qui révèlent également que le gouvernement fédéral perd sa majorité dans le pays ; quant aux socialistes, le PS dégringole, et le SP.a fait essentiellement du surplace, jusqu’à un dernier sondage qui le plonge en dessous des 10 %, un autre record historique. La crise couve chez les socialistes flamands où plusieurs ténors demandent une discussion sur la stratégie du parti. Quoi qu’il en dise, il est vrai que le SP.a est largement invisible et inaudible sur le terrain politique et social.

Des récents scandales à la crise existentielle du PS

Les scandales à répétition dans lesquels le PS est englué (les rémunérations des administrateurs de Publifin, du Samusocial etc.), la lenteur de sa réaction et ses divisions internes ont fini de lui porter le coup de grâce. Depuis l’affaire Publifin, le PS s’écrase totalement dans les sondages : il n’obtiendrait plus que 16 % des suffrages contre 32 % il y a 3 ans en Wallonie. Une perte de 50 %. A Bruxelles, l’hémorragie est encore plus forte : le PS tombe à 10,9 % alors qu’il atteignait 25,6 % en 2014. En cas de nouvelles élections le PS n’aurait plus que 11 élus, le PTB …20. En Flandre, le SP.a se fait talonner par le PVDA. Le SP obtiendrait 7 sièges au parlement fédéral et le PVDA, 6.

En interne, le PS est coupé en deux parties presque égales et opposées sur la question de la « gouvernance ». Cette division touche essentiellement l’appareil et le réseau d’élus et de mandataires de toutes sortes. Un groupe d’opposition, #grouponsnousetdemain,  s’est d’ailleurs constitué essentiellement avec  des hommes et des femmes d’appareil, autour du décumul intégral des mandats. C’est une mesure du désespoir qui règne au PS : seule cette revendication est perçue comme pouvant libérer le parti du cancer de l’arrivisme et du carriérisme.  Pour la première fois, la disparition même du parti (au moins dans sa forme actuelle) est sérieusement prise en considération, aussi bien par les éditorialistes que par les responsables du parti.

S’il est possible que le PS prenne la voie du Pasok grec ou du PS français, un scénario à l’espagnole n’est pas à exclure : l’ancien secrétaire général du PSOE, éjecté suite à un coup d’état de l’appareil, y a finalement repris les rênes avec un discours de gauche. Magnette, ou une autre personnalité, pourrait jouer ce rôle. Avec les scandales à répétition, Magnette a vu s’évaporer l’effet positif de sa campagne contre la CETA ; mais même à l’époque, les sondages qui semblaient le plébisciter n’indiquaient pas pour autant que le PS sortait de l’ornière. La tentation d’imiter Macron est présente au PS, comme dans d’autres partis en Wallonie.  Elle pourrait prendre plusieurs formes et contenus : une scission droitière du PS, un regroupement au centre, etc. Mais pour que cela se réalise,  il faudra probablement attendre les prochaines échéances électorales de 2018 et de 2019. Il est vrai que le PS, contrairement aux autres PS en Europe, a maintenu des liens encore forts avec la population ouvrière et la FGTB (de clientélisme, mais aussi de soutien réel).  Ils se sont néanmoins de plus en plus distendus au fil des politiques d’austérité et des mesures pro-capitalistes approuvées par le PS, jusqu’à se rompre maintenant. Il n’est donc pas certain que le PS puisse se ressaisir ou qu’un Magnette puisse jouer le rôle d’un Jeremy Corbyn.  Certes, dans son dernier livre, Nouvelles Conquêtes, Elio Di Rupo reprend certaines revendications de gauche comme la semaine de 4 jours. Mais son auteur, tout comme le Parti Socialiste, marqué au fer par 30 années de coalition avec la droite, manque totalement de crédibilité pour pouvoir rebondir avec de telles revendications.

Le PTB occupe le terrain

Si le MR et le cdH sont également impliqués dans les scandales évoqués précédemment, le PS se trouve bien à l’épicentre de la tempête. Son électorat et sa base sont beaucoup moins enclins à pardonner de telles dérives que ceux du MR : on ne tolère pas ce genre de conduite d’un parti créé – il y a très longtemps – pour changer le système et pas pour s’y vautrer. Le PS et le SP.a, tout comme les organisations syndicales, mutuelles etc., en s’approchant de l’appareil d’Etat capitaliste, voire en s’y intégrant, n’en ont pas modifié la nature. Bien au contraire, ce sont eux qui ont changé, s’identifiant avec cet Etat, défendant ses intérêts, le présentant comme l’aboutissement d’une politique socialiste. Les cadres, les dirigeants des partis socialistes, ainsi que ceux des syndicats, ont également intégré les normes et valeurs de ce même appareil d’état : carriérisme, salaires élevés et autres privilèges.

Le PTB, dont les élus ne gagnent pas plus qu’un travailleur et dénoncent depuis longtemps les profiteurs à tous les niveaux politiques, sort très renforcé de ces crises. Il est remarquable que les scandales qui engloutissent le PS ne profitent ni à la droite ni à l’extrême droite, mais à la gauche de la gauche. Ceci n’est pas le fruit du hasard : c’est le résultat du positionnement du PTB et de son travail sur le terrain. Le MR recule, le cdH aussi, tout comme l’Open VLD, le CD&V et la N-VA, les partis du gouvernement et de la droite chrétienne démocrate. En dehors de la forte poussée du PTB, seuls le Vlaams Belang, Défi, Ecolo et Groen progressent encore dans les sondages, mais beaucoup plus faiblement. En cela, le panorama politique en Belgique ressemble à celui que l’on voit dans le reste de l’Europe, celui d’une polarisation croissante entre la gauche et la droite. En Flandre, il faudrait ajouter aussi la victoire retentissante du PVDA contre la Turteltaks qui vient d’être annulée par la Cour Constitutionnelle.  Cette Turteltaks, ainsi nommée d’après la ministre régionale flamande libérale Turtelboom, augmentait en moyenne la facture d’électricité de 100 euros par ménage. Là où les autres partis d’opposition comme le SP.a et Groen se sont limités à critiquer cette loi sans la combattre, le PVDA en a fait sa campagne centrale. L’annulation de la Turteltaks est largement perçue comme une victoire du PVDA.

Evidemment, un sondage n’est pas un résultat électoral. Dans plus d’un an auront lieu les élections communales et, l’année d’après, en 2019, se tiendront les élections fédérales. En politique, c’est un long, très long, intervalle. Surtout aujourd’hui. Mais les progrès du PTB, quelle qu’en soit l’ampleur exacte, représentent selon nous une tendance lourde dans la politique et la lutte des classes en Belgique.

Les partis de droite et la social-démocratie ont pendant un temps tenté de se consoler en croyant qu’il s’agissait d’un épiphénomène, un coup de sang aussi soudain que de courte durée, alors que rien n’indique que le PTB ait maintenant atteint un plafond (ni qu’il restera longtemps à ce niveau).  Maintenant, ils commencent sérieusement à s’en inquiéter. Dans son édito de samedi 1er juillet 2017, l’Echo décrit la percée du PTB comme une « catastrophe » ; les idées du PTB sont des « illusions habiles et socialement destructrices ». Le pays est « exposé à tous les possibles. Même aux pires ». Ce n’est ici qu’un exemple de la campagne qui va déferler sur PTB dans les prochains mois et années.

Pressions sur le PTB

La campagne haineuse contre le PTB et le marxisme en général va s’accentuer en même temps que la pression sur le parti pour qu’il mette « de l’eau dans son vin rouge ». Il sera appelé à se montrer « responsable ». Une partie même de l’électorat, voire des membres du PTB et les dirigeants syndicaux « amis » s’attendent à ce que le PTB entre dans le gouvernement, au moins au niveau régional.  Thierry Bodson, le secrétaire général de la FGTB Wallonne déclarait récemment voir d’un bon œil une coalition PS-PTB-Ecolo en Wallonie. Le PTB résiste, pour l’instant, à cette pression. Et c’est une bonne chose. Il met correctement l’accent sur la nécessité de s’organiser, de se mobiliser à la base et de ne pas avoir d’illusions dans les possibilités immédiates de changement au sein du gouvernement.

Mais d’autres dangers le guettent. Un opportunisme électoral pointe son nez. D’abord sur des questions qui semblent « périphériques », comme la solidarité d’une partie de la communauté marocaine avec les révoltes dans le Rif. La non-participation du PTB à la manifestation du 8 juillet en solidarité avec la révolte du Rif est significative d’une volonté de ne pas « fâcher » une partie de son électorat.

Les campagnes publiques du PTB, les revendications que le parti met en avant, sont également de plus en plus découplées de la nécessité d’un changement socialiste de la société. Le socialisme, le « but final », n’est pas perçu comme une « question pratique » à placer au cœur des toutes les luttes aujourd’hui et maintenant. « Cela ne rapporte pas de voix » nous confie un militant du PTB. « Mais la revendication des nationalisations se trouve toujours dans nos documents en ligne » indique un autre.  Sous le terme « socialisme » nous entendons la nationalisation des moyens de production sous le contrôle démocratique des travailleurs et l’instauration d’une économie planifiée pour satisfaire les besoins sociaux et écologiques urgents. C’est une rupture avec le capitalisme et la construction d’une société socialiste.

Le socialisme, un but « pratique »

Rosa Luxemburg, marxiste allemande, donnait à son époque une réponse juste [2] à ceux qui voulaient séparer les luttes pratiques des réformes du socialisme :

« On déclare : ce qu'on dit du but final constitue un beau passage dans notre programme, qu'il ne faut certainement pas oublier, mais qui n'a aucun rapport direct avec notre lutte pratique. Peut-être même se trouve-t-il un certain nombre de camarades qui pensent qu'une discussion sur le but final n'est qu'une discussion académique. Je prétends, au contraire, qu'il n'existe pas pour nous, en tant que parti révolutionnaire, prolétarien, de question plus pratique que la question du but final. Car, réfléchissez-y ; en quoi consiste, en fait, le caractère socialiste de notre mouvement ? La lutte pratique proprement dite se divise en trois parties principales : la lutte syndicale, la lutte pour les réformes et la lutte pour la démocratisation de l'Etat capitaliste. Est-ce que ces trois formes de notre lutte sont, en fait, du socialisme ? Absolument pas !

« Qu'est-ce qui fait alors de nous, dans notre lutte quotidienne, un parti socialiste ? C'est seulement le rapport de ces trois formes de lutte pratique avec notre but final. C'est uniquement le but final qui donne son esprit et son contenu à notre lutte socialiste et en fait une lutte de classe. Et, par but final, nous ne devons pas entendre, comme l'a dit Heine, telle ou telle représentation de la société future, mais ce qui doit précéder toute société future, c'est-à-dire la conquête du pouvoir politique.

« J'estime que la question de savoir si nous pourrons, une fois au pouvoir, socialiser la production, et si elle est déjà assez concentrée pour cela, est une question académique. Pour nous, il ne fait aucun doute que nous devons tendre vers la prise du pouvoir politique. Un parti socialiste doit être toujours à la hauteur de la situation. Il ne doit jamais reculer devant ses propres tâches. C'est pourquoi nous devons clarifier complètement notre conception de ce qui est notre but final. Nous le réaliserons, envers et contre tout. »

La lutte de classe des prochains mois et années, aussi bien sur le terrain syndical que politique, exige non seulement de présenter un programme de réformes sociales et politiques à la hauteur des dégâts causés par le capitalisme, mais elle exige surtout de placer la nécessité d’une rupture avec le capitalisme et d’une révolution socialiste au centre de notre combat « pratique ». Les deux ne sont pas dissociables.

Révolution (Belgique)


[1] http://www.lecho.be/actualite/tablet/Le-PTB-pourrait-devenir-le-premier-parti-de-Belgique/9909817

[2] https://www.marxists.org/francais/luxembur/works/1898/rlux_18981003.htm

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