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Chapeau d’aventurier, pinceau à la main et paysages ensoleillés : l’image d’Epinal de l’archéologue est très éloignée de la réalité. La crise du capitalisme frappe tous les secteurs, y compris la culture et la recherche scientifique. Elle menace la préservation de notre héritage historique.

Dans les rangs de la récente mobilisation contre la réforme des retraites, à Toulouse, des archéologues étaient présents pour dénoncer la précarisation de leur métier, la dégradation de leurs conditions de travail et la privatisation de l’archéologie préventive.

Nous avons rencontré Philippe Gardes, secrétaire-adjoint de la section régionale de la CGT à l’Institut national de recherche en archéologie préventive (INRAP). Ce fut l’occasion d’aborder les attaques subies par l’archéologie publique depuis de nombreuses années.

L’archéologie préventive

Pendant les « Trente Glorieuses », la majorité des sites archéologiques découverts lors de travaux étaient détruits. A partir des années 1980, des archéologues ont dénoncé publiquement ces destructions et revendiqué la reconnaissance d’un réel statut de l’archéologie préventive publique. 1998 fut l’année d’une mobilisation historique des 2000 archéologues présents sur le territoire. Ils ont organisé une grève reconductible de quinze jours qui a paralysé le chantier de l’autoroute A29.

Ce mouvement a débouché sur une loi obligeant les aménageurs à financer préventivement eux-mêmes des fouilles archéologiques, sur instruction de l’Etat. Après de nombreuses tergiversations politiques, l’INRAP fut créé en 2002, sous la pression des archéologues – et des scandales à répétition liés aux saccages de sites.

Privatisation

Cependant, pour le gouvernement Chirac de l’époque, ces fouilles étaient l’occasion d’ouvrir un marché et de dégager des profits. En 2003, Jean-Pierre Raffarin promulguait une loi privatisant une partie de la discipline. Comme nous l’explique Philippe Gardes : « depuis, l’INRAP souffre d’une concurrence privée, et n’a réussi qu’à survivre. (…) Nous ne sommes que 2000 à l’INRAP, pour des dizaines de milliers d’aménagements chaque année en France. Pour chaque intervention, nous devons candidater à un appel d’offres contre des entreprises privées pour pouvoir exercer des fouilles. Bien sûr, l’aménageur prend en général le moins cher, et les entreprises privées font tout pour l’être ».

En 2012, une enquête menée par la CGT a prouvé – faits et chiffres à l’appui – que l’introduction de la concurrence commerciale déstabilisait l’archéologie publique et mettait en danger notre patrimoine historique. Par exemple, cette concurrence provoque un « dumping » sur les moyens d’intervention – et ce jusqu’à l’abandon des méthodes scientifiques sérieuses. Tout est bon pour réduire les coûts et gagner des appels d’offres.

Le rapport de la CGT souligne que ce marché est très juteux : « L’archéologie préventive est devenue une activité très lucrative, avec des entreprises privées qui dégagent des bénéfices considérables et rémunèrent grassement une poignée d’actionnaires ». Et bien sûr, l’enrichissement des actionnaires repose aussi sur la précarisation à marche forcée des archéologues employés par ces entreprises privées.

Précarité

Les jeunes archéologues sont les premiers touchés, comme l’explique Philippe Gardes : « Depuis la fin des années 2000, les embauches d’archéologues dans le secteur public ont drastiquement baissé. Par dépit, les jeunes diplômés se tournent vers le privé. Les conditions de travail sont aussi plus difficiles du fait de la souplesse obligatoire des jeunes employés, qui acceptent ce que les anciens de l’INRAP refuseraient. Rapidement, des troubles musculo-squelettiques et des problèmes psychiques apparaissent ».

Le secteur public n’est pas épargné par la précarité. En 2018, l’INRAP comptait 180 CDD en équivalent temps plein. Selon Philippe Gardes : « faute de moyens, le service privilégie de plus en plus ce type de contrat ». Nombreux sont les jeunes archéologues qui doivent enchaîner les CDD – parfois à temps partiel – et les périodes de chômage. La précarité s’installe alors sur de nombreuses années, avec un salaire qui dépasse rarement 1450 euros net mensuel.

Patrimoine en danger

Outre ses dégâts sociaux, cette situation menace directement le patrimoine historique de l’humanité. Les sites archéologiques sont saccagés par les maigres allocations allouées à la culture. Le capitalisme en crise est incapable d’assurer la préservation des réalisations historiques des hommes – et exploite ceux qui en ont fait leur mission : les archéologues.

Ces derniers luttent, bien sûr : l’histoire de l’archéologie est aussi celle d’archéologues en grève. Néanmoins, sur cette question, le mouvement ouvrier doit se doter d’un programme offensif. Il faut revendiquer la titularisation de tous les archéologues, ainsi que la revalorisation de leurs salaires et leur indexation sur l’inflation. Il faut nationaliser toutes les entreprises privées d’archéologie et les fusionner dans un service public géré démocratiquement par les archéologues eux-mêmes. Il faut exproprier les grandes entreprises du BTP, qui n’ont que faire du patrimoine historique de l’humanité. Enfin, il faut nationaliser les banques pour financer massivement la culture et la recherche scientifique.

En 1903, Rosa Luxemburg remarquait que la classe ouvrière est amenée à « protéger la culture bourgeoise contre le vandalisme de la réaction bourgeoise ». C’est vrai, mais c’est décidément toute la culture, depuis ses origines ancestrales, que nous devons défendre contre le vandalisme du grand Capital.

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