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Alstom Belfort

Le 7 septembre dernier, le PDG d’Alstom, Henri Poupart-Lafarge, annonçait la fermeture prochaine de l’usine de Belfort. Au terme d’un mois de négociations, le gouvernement a répondu, le 4 octobre, par la commande de 21 rames de TGV, dont 15 directement par l’Etat, ce qui permettrait de maintenir l’activité du site jusqu’en 2020 ou 2021. Les commandes publiques sont le premier marché d’Alstom, en France.

Cette commande de l’Etat, cependant, ne règle en rien le problème ; elle se contente de le repousser, afin de ne pas alourdir davantage le bilan catastrophique de la politique industrielle de François Hollande. Certains ont d’ailleurs accusé Alstom de faire du chantage à l’emploi quelques mois avant les élections présidentielles. Poupart-Lafarge s’en défend. Il maintient que malgré la nouvelle commande de l’Etat, l’intérêt du groupe reste, sur le long terme, de relocaliser l’activité de Belfort à Reichshoffen. L’argument est simple : l’usine de Belfort est spécialisée dans le fret ; or les commandes ne sont pas suffisantes dans ce secteur. Qu’importent les trois milliards d’euros de bénéfices annuels du groupe : si l’usine de Belfort n’est pas assez rentable, elle doit disparaître. La seule chose qui intéresse le PDG d’Alstom, c’est la maximalisation de ses profits. Peu lui importe le sort des salariés.

En bon porte-voix de la classe dirigeante, Le Monde soutient l’analyse de Poupart-Lafarge et critique à demi-mot l’intervention du gouvernement français. En traçant un parallèle avec l’industriel suédois Ericsson, le journal salue une politique industrielle qui n’hésite pas à « licencier pour mieux se relancer » [1]. En Suède, la délocalisation de 20 % des effectifs d’Ericsson (3000 emplois) aurait favorisé la croissance du pays et fait baisser le chômage. Cherchez l’erreur ! Le gouvernement suédois aurait également raison en déclarant vouloir soumettre son système éducatif aux intérêts privés. En résumé, il faudrait donner carte blanche aux grandes entreprises, dans l’espoir de relancer les investissements, et donc la croissance économique.

1576 usines fermées en six ans

Si les médias bourgeois ont tant parlé de la fermeture potentielle de Belfort, ce n’est pas parce qu’ils se soucient du sort des 400 travailleurs concernés. Leur engouement s’explique notamment par le « symbole industriel » que représente cette usine en fonction depuis la fin du XIXe siècle. En fait, le cas d’Alstom Belfort est surtout révélateur de la désindustrialisation générale du pays. Entre 2009 et 2015, pas moins de 1576 usines ont fermé en France, alors que les ouvertures ne dépassent pas le millier – et concernent des sites employant moins de salariés, en moyenne. Depuis 2007, près de 460 000 emplois industriels ont été détruits [2].

La situation des hauts-fourneaux de Florange, celle de l’usine PSA d’Aulnay-sous-Bois ou d’Alstom à Belfort illustrent la profonde crise de l’industrie française, que le gouvernement peine à dissimuler. En développant le secteur des services au détriment de son industrie (qui représente 19,4 % du PIB français en 2015), la bourgeoisie française a renforcé sa dépendance à l’égard des importations. En comparaison, la bourgeoisie allemande a continué à investir dans le secteur industriel, qui reste très important dans son économie. Il représentait 30,4 % de son PIB en 2015 [3]. C’est l’une des raisons objectives de la supériorité croissante de l’économie allemande sur l’économie française.

En période de crise économique, les investissements sont rares, en particulier dans les infrastructures. Les industries de ces secteurs se trouvent alors en surcapacité de production, ce qui aggrave la concurrence qui les oppose. Les difficultés d’Alstom s’annonçaient depuis juillet, lorsque son concurrent allemand Vossloh a signé un contrat de 140 millions d’euros avec une filiale de la SNCF.

La politique gouvernementale de privatisation progressive des transports publics ne peut que renforcer la mauvaise forme d’Alstom, dont l’activité dépend de ses contrats avec les entreprises publiques de transports telles que la SNCF ou la RATP.  D’un côté, l’Etat applique des politiques d’austérité cassant les services publics ; de l’autre, il se livre à de coûteux « sauvetages » d’industries en mal de commandes publiques… Mais en aidant Belfort, l’Etat ne se contente pas d’apporter un sursis aux 400 « Alsthommes » ; il sert surtout les intérêts des capitalistes français. Maintenir l’activité d’une usine grâce à de l’argent public est une aubaine pour Alstom. Mais l’Etat ne peut pas faire survivre éternellement des sites industriels à coup de commandes publiques ponctuelles.

Face au problème de compétitivité des entreprises françaises, les idées protectionnistes gagnent du terrain, à droite comme d’ailleurs à gauche. L’idée d’un « protectionnisme solidaire », par exemple, figure dans le programme de la « France insoumise ». Nous reviendrons ailleurs plus en détail sur cette question. Ici, rappelons juste que dans le cadre du capitalisme mondialisé, toute politique protectionniste visant tel ou tel pays entraînera inévitablement, en retour, des mesures de rétorsion protectionnistes de la part du pays visé. On ne peut avoir l’un sans avoir l’autre. Dans le cadre d’une économie de marché, ni le protectionnisme ni le libre-échange n’offrent de solution aux travailleurs. Il est temps de remettre à l’ordre du jour le mot d’ordre de nationalisation des grands groupes industriels, dans le cadre d’une planification démocratique de la production.


[1] Le Monde du 5 octobre 2016.
[2] Données extraites de Pour une industrie écosocialiste.
[3] Source : la Banque Mondiale.

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