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Habituellement, les gouvernements font peu de cas des soldats tués à la guerre. Moins on en parle, mieux les gouvernements se portent. Tel fut le cas, ces dernières années, avec les soldats français tués ou blessés en Afghanistan. Cependant, lorsque dix soldats ont perdu la vie lors d’un affrontement avec des talibans, le 18 août dernier, Sarkozy a interrompu ses vacances pour se rendre en Afghanistan et s’adresser aux troupes françaises. Une grande cérémonie a été organisée aux Invalides. Les soldats tués se sont vus attribués la Légion d’honneur à titre posthume. D’autres cérémonies officielles ont eu lieu dans la foulée. Les familles des soldats ont été reçues à l’Elysée. La presse et l’industrie audio-visuelle ont été fortement mobilisées.

Le but de cette grande opération politico-médiatique était de convaincre l’opinion publique qu’il venait de se passer quelque chose d’exceptionnel. Comme si, normalement, des incidents de ce genre ne devaient pas se produire, dans une guerre.

Sarkozy s’est engagé dans une « stratégie de communication » qui peut lui sembler avantageuse, à court terme. Mais elle ne manquera pas de se retourner contre lui dans les semaines et les mois à venir. Ce n’est pas un hasard si plusieurs dirigeants de son camp ont estimé qu’il en faisait trop. Après tout, il ne sera pas facile de relancer des cérémonies de la même envergure chaque fois que des soldats français seront tués. Car la vérité, c’est que la mort des 10 soldats n’avait absolument rien de surprenant. D’autres soldats français impliqués dans la guerre en Afghanistan seront tués : c’est absolument inévitable. C’est la réalité de la guerre, d’autant plus que la coalition est en train de la perdre.

Sarkozy a pris la parole à plusieurs reprises, à ce sujet. Comme d’habitude, il a surtout parlé de lui-même, de sa solitude, du poids de sa charge, de son sens du devoir – et ainsi de suite. Devant les cercueils des soldats, il a répété les mensonges officiels destinés à dissimuler les véritables intérêts en jeu dans cette guerre. Il a prétendu que les soldats français ne sont pas morts vain, qu’ils livraient une guerre pour « la liberté du monde ». Mais Sarkozy sait pertinemment que cette guerre n’a rien à voir avec la lutte contre le terrorisme, avec la démocratie ou avec la liberté du monde. C’est une guerre impérialiste, une guerre pour la domination économique et militaire de la région par les Etats-Unis – mais aussi par d’autres puissances impérialistes moins importantes, dont la France. C’est une guerre pour le contrôle des ressources naturelles et des marchés, une guerre pour le profit, tout comme la guerre en Irak.

L’invasion de l’Afghanistan a été lancée en septembre 2001, à l’époque du gouvernement Jospin. Dispersés par le choc initial, les talibans ont commencé à réinvestir le terrain dès le printemps 2002. D’innombrables villages suspectés d’abriter des talibans – à tort ou à raison – ont été bombardés par la coalition. Au fil des années, plusieurs offensives terrestres supposées nettoyer les zones tombées sous le contrôle des talibans n’ont donné aucun résultat tangible. En six mois, les alliés ont largué des milliers de bombes et tiré environ 200 000 obus. Depuis 2001, des dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants innocents ont été tués. L’aviation française a largement participé à cette activité meurtrière, qui n’a rien fait pour « gagner les âmes et les cœurs » des Afghans.

Aujourd’hui, les talibans contrôlent aux moins les deux tiers de l’Afghanistan, au sud et à l’est. Ils s’approchent désormais de la capitale. Ils contrôlent les alentours de Kaboul, au-delà d’un périmètre de quelques dizaines de kilomètres. Armes et argent affluent en masse du Pakistan et d’ailleurs. Les provinces non-pachtounes, vers le nord, sont réputées plus calmes. Les seigneurs de guerre puissamment armés qui contrôlent ces régions ne sont pas encore engagés dans une lutte ouverte contre les occupants. Mais c’est juste une question de temps. A un certain stade, ils se mettront d’accord avec les talibans sur le partage du butin qu’apportera la défaite de la coalition, et se joindront à eux. En attendant, ils continueront d’encaisser l’argent et les autres avantages qui sont le prix de leur neutralité temporaire. Comme le disait un représentant de l’Empire britannique à l’époque de sa tentative infructueuse de coloniser l’Afghanistan : « On ne peut jamais acheter le soutien d’un Afghan. On ne peut que le louer un certain temps. » Rappelons que, pendant les années 90, les talibans et Ben Laden étaient eux-mêmes considérés, à Washington, Paris et Londres, comme des alliés de premier choix.

La population afghane n’est pas enthousiaste à l’égard des talibans. Mais elle est résolument hostile à l’occupation de son pays par les puissances étrangères. Dans ces conditions, une victoire des forces de la coalition est totalement exclue. De nombreux généraux de la coalition – notamment américains et britanniques – le reconnaissent ouvertement. Malgré le ton patriotique qui caractérise la presse américaine, on peut y lire, semaine après semaine, des articles faisant état de la situation désespérée dans laquelle se trouvent les Etats-Unis et leurs alliés. La seule perspective réaliste, pour la coalition, est celle d’un long, coûteux et futile enlisement dans une guerre d’usure – qui, après d’innombrables morts et souffrances, se soldera par une défaite.

Du point de vue de l’impérialisme américain, son implication dans cette guerre répond à une certaine logique. Mais que fait la France là-dedans ? La France est une puissance impérialiste, certes. Mais ses dépenses militaires ne représentent qu’un vingtième de celles des Etats-Unis, et les moyens militaires dont elle dispose sont relativement dérisoires. Même dans l’hypothèse d’une victoire – laquelle, nous l’avons dit, est impossible –, l’impérialisme français ne pourrait espérer que quelques miettes, en termes de marchés et autres butins de guerre. Il en était ainsi pour les alliés des Etats-Unis en Irak. Du temps de Tony Blair, les capitalistes britanniques se plaignaient d’avoir été oubliés dans la répartition des fruits du pillage systématique de l’Irak.

C’est le gouvernement Jospin qui a lancé la France dans cette folle aventure. Il pensait qu’en s’affichant aux côtés de la plus grande puissance mondiale, l’impérialisme français paraîtrait plus fort qu’il ne l’est en réalité. Par ailleurs, il espérait que les Américains cèderaient une petite part du butin de guerre aux impérialistes français, lesquels ne pouvaient prétendre qu’au rôle de hyène nettoyant la carcasse abandonnée par le lion américain. Quoiqu’il en soit, le fait est que nous devons à un gouvernement de gauche l’implication de la France dans le bourbier afghan – avec, malheureusement, la bénédiction de la direction du PCF, à l’époque. Il a fallu attendre les 10 soldats tués du mois d’août dernier pour que la direction du PCF change sa position et se prononce pour le retrait des troupes françaises.

Le prestige joue un rôle important dans le comportement des représentants du capitalisme. Et c’est surtout pour des raisons de prestige – celui de Sarkozy et celui de la France, comme puissance mondiale – que le dispositif militaire français a été renforcé, en Afghanistan. Cette décision n’obéit à aucune logique militaire proprement dite. Si, malgré leur écrasante supériorité en termes de puissance de feu et de logistique militaire, les Etats-Unis et leurs alliés reculent devant l’ennemi depuis sept ans, ce n’est certainement pas l’envoi de quelques centaines de soldats français supplémentaires qui inversera la tendance. Il en serait exactement de même si Sarkozy envoyait 5 ou 10 000 soldats en Afghanistan. Comme en Irak, le problème des impérialistes ne réside pas dans des moyens militaires insuffisants, mais dans leur absence totale de base sociale, dans la population.

Du point de vue de l’impérialisme français, il n’y a que deux options possibles : renforcer encore et encore son contingent militaire sur place, c’est-à-dire jeter des milliers d’hommes et des milliards d’euros dans un puit sans fond – ou bien se retirer, avec pertes et fracas, avant la débâcle. Sarkozy est pris à son propre piège. A la spirale du déclin économique et de la régression sociale s’ajoute l’enlisement des troupes françaises dans une guerre perdue d’avance. Dans ce contexte, la gauche et le mouvement syndical doivent expliquer les véritables objectifs des impérialistes en Afghanistan et mobiliser massivement la jeunesse et les travailleurs sur le mot d’ordre : troupes françaises hors d’Afghanistan !

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