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La masse des étudiants était et demeure hostile à la réforme des retraites. Pourtant, la participation active des étudiants est restée très minoritaire sur les facs – même après le recours au 49.3, qui a déclenché un plus grand investissement de la jeunesse dans la mobilisation. Comme lors de toutes les mobilisations étudiantes, ces 15 dernières années, de nombreux militants ont présenté le « blocage » des universités comme une méthode permettant de « massifier le mouvement ». Mais en réalité, cette tactique a joué un rôle démobilisateur.

La lutte contre le CPE

En France, le mouvement étudiant s’est longtemps appuyé sur des traditions de lutte et d’organisation démocratiques. En 2006, lors de l’énorme mobilisation contre le Contrat Première Embauche (CPE), des AG réunissant des milliers de personnes ont permis aux étudiants de débattre démocratiquement et de s’organiser sur les universités – et même entre universités. Beaucoup d’universités avaient alors été « bloquées » dans le cadre d’une occupation massive par les étudiants grévistes.

Dans certaines conditions, le « blocage » peut jouer un rôle positif, voire même se révéler indispensable. C’est le cas lorsque le mouvement devient massif, mais que certains enseignants hostiles continuent de faire cours et menacent de faire remonter auprès du CROUS les listes d’émargement. Un étudiant boursier qui cumule trop d’absences risque de voir ses bourses suspendues. En empêchant les cours de se tenir, le blocage facilite l’implication des étudiants boursiers.

Par ailleurs, une fois le campus massivement occupé et bloqué, les étudiants mobilisés ont la possibilité d’en sortir pour apporter leur appui aux étudiants d’autres universités – ou à des travailleurs mobilisés sur leurs piquets de grève. En 2006, les délégations d’étudiants mobilisés ont même joué un rôle décisif dans l’extension du mouvement à certaines entreprises.

« Massifier le mouvement » ?

Depuis, ces traditions ont largement disparu du fait de la crise des organisations étudiantes, et en premier lieu de l’UNEF. Mais c’est aussi une conséquence de l’échec des différents mouvements successifs : en 2007 (loi LRU), en 2009 (idem), en 2016 (loi Travail) ou encore en 2018 (Parcoursup). Lors du mouvement contre la réforme des retraites, les AG étaient souvent très petites et marquées par d’évidentes carences démocratiques. La tribune était rarement élue, s’opposait fréquemment à toute discussion portant sur des questions de politique générale, et insistait pour limiter les débats aux revendications sectorielles et aux questions organisationnelles.

La question du blocage a souvent occupé une place centrale dans ces AG. Pour ses partisans, il s’agirait d’une méthode miraculeuse permettant de suppléer à l’absence de participation massive des étudiants – ou, plus modestement, de « faire venir davantage d’étudiants en AG ». Par exemple, sur le campus de Lyon 2, le « blocage » a été voté à plusieurs reprises par des AG d’une centaine d’étudiants, tout au plus, sur les 27 700 que compte cette université. Des situations comparables se sont produites sur bien d’autres campus du pays. Jamais cela n’a permis à la mobilisation de se développer.

A Lyon 2, les votes en faveur du « blocage » ont servi de prétexte à la présidence de l’université pour fermer tous les bâtiments et faire passer les enseignements en distanciel. Les étudiants étant « bloqués »… chez eux, il devenait de facto difficile d’organiser leur mobilisation. L’idée du blocage comme méthode « miracle » finit par devenir un argument contre une mobilisation plus large. Pourquoi des étudiants auraient-ils besoin de s’investir massivement dans le mouvement si de petits groupes de militants suffisent pour bloquer la fac ?

Malgré ses faiblesses évidentes, le blocage est devenu une sorte de totem pour nombre de militants ultra-gauchistes, mais aussi réformistes. Même la France insoumise a soutenu cette tactique erronée. Certains vont jusqu’à accuser ceux qui s’opposent à ces blocages – votés par de minuscules AG – d’être hostiles au mouvement. Cette approche est néfaste, car elle cristallise les débats des AG sur cette seule question, au lieu de débattre de ce qui pourrait convaincre les étudiants de s’engager dans la mobilisation.

Unité des étudiants et des travailleurs !

L’expérience de plusieurs mouvements, depuis 2006, a bien montré que les étudiants ne peuvent pas gagner seuls. Isolés sur les facs, ils se sont à plusieurs reprises épuisés dans des mobilisations dénuées de perspectives claires. Les étudiants en lutte doivent donc à tout prix se lier aux travailleurs et au mouvement ouvrier. Se pose aussi la question des objectifs que doit se fixer la mobilisation. Un grand nombre d’étudiants et de travailleurs comprennent très bien que même si une contre-réforme donnée est retirée, les coups continueront de pleuvoir tant qu’un gouvernement au service de la classe dirigeante sera au pouvoir.

La solution ne se trouve pas dans une quelconque méthode organisationnelle « miracle », comme le blocage systématique. Elle se trouve dans ce que la plupart des organisateurs des AG étudiantes refusent précisément de faire : la politisation de la lutte, qui doit se fixer comme objectif général de combattre l’ensemble de la politique gouvernementale – et donc de renverser le gouvernement lui-même. Si cette perspective avait été placée au cœur de la mobilisation, il est probable qu’un plus grand nombre d’étudiants s’y seraient impliqués.

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