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50ème congrès CGT Toulouse

Le 50e congrès de la CGT se tient dans une période de crise exceptionnelle. Le développement économique est au point mort. On compte 1 000 chômeurs de plus chaque jour. Les prix augmentent et les salaires stagnent. Le patronat exerce un chantage à l’emploi en conditionnant le maintien de ses investissements à la casse des acquis sociaux et à la déréglementation du Code du travail. Les créanciers de l’Etat exigent des coupes drastiques dans les dépenses publiques. Une immense colère s’accumule parmi les salariés qui subissent les plans de suppression de postes et les fermetures d’usines. Des luttes éclatent à travers le pays. Aucun militant CGT vivant à ce jour n’a été confronté à un tel marasme.

La crise capitaliste

Dans son document d’orientation, la direction de la CGT nous dit que « La sortie de crise ne peut être que dans la revalorisation du travail », c’est-à-dire « augmenter les salaires ». L’idée est qu’une augmentation du pouvoir d’achat des salariés permettrait de relancer l’économie par une augmentation des ventes des biens et services produits. C’est plein de bon sens. Mais ce n’est pas aussi simple. Le monde est devenu un vaste marché où les capitalistes investissent là où ils peuvent en retirer un profit maximum. Les capitalistes ont une vue à court terme, guidée par leur profit. Le bien-être de la population n’entre pas dans la grille d’appréciation de la situation. Si les salaires augmentent, les marges de profit des capitalistes diminuent d’autant. Aussi, une augmentation générale des salaires provoquerait une chute brutale de l’investissement en France, avec pour effet non pas de sortir de la crise, mais de l’aggraver. C’est ce qu’il s’est produit après l’élection de Mitterrand en 1981. Imaginons les conséquences aujourd’hui, dans une période de crise profonde et de mondialisation économique. Il n’y a pas de lien mécanique entre l’augmentation des salaires et la fin de la crise de surproduction.

L’analyse des causes de la crise par la direction confédérale se caractérise par une grande confusion. Par exemple, il est dit que la crise est « systémique », laissant entendre qu’elle est intrinsèquement liée au capitalisme, à son fonctionnement, ce qui est une idée juste. Mais ensuite le texte précise que cette crise « trouve ses origines dans une exigence démesurée de rentabilité du capital ». Doit-on alors comprendre que, pour les rédacteurs, il existerait une exigence de rentabilité des capitalistes qui serait « mesurée » et dès lors compatible avec la défense des intérêts des travailleurs ? Mais alors la crise n’est-elle plus « systémique » comme il est dit plus haut ?

Il faut armer nos camarades d’une connaissance solide des règles de fonctionnement du capitalisme et pour cela combattre l’idée selon laquelle si des entreprises ferment c’est parce qu’elles sont « mal gérées », ou que si le capitalisme spécule, c’est qu’il est « mal géré » ou « non régulé », etc. Le capitalisme repose sur la spéculation. Son objectif général est de permettre à une poignée de parasites de s’enrichir au détriment de la masse de la population. Au lieu de cette explication claire, on peut lire dans ce document que la crise s’explique par la volonté des capitalistes « d’accroître la rémunération du capital au détriment de celle du travail » en favorisant notamment « l’accumulation du capital financier (…) au détriment de l’investissement productif ». En réalité, si les capitalistes ont davantage investi dans la sphère financière plutôt que dans l’appareil de production, c’est parce que les marges bénéficiaires des entreprises de « l’économie réelle » diminuent et que la spéculation financière offre des perspectives d’enrichissement à court terme plus favorables. Et c’est précisément la seule chose qui intéresse les capitalistes. Pourquoi les taux de profit des entreprises de « l’économie réelle » diminuent-ils  ? Parce qu’elles sont confrontées à une crise de surproduction.

Les crises de surproduction sont inhérentes au mode de production capitaliste. N’étant pas planifiée selon les besoins de la population, la production est anarchique. Le pouvoir d’achat des salariés est insuffisant pour absorber l’ensemble de cette production parce que les capitalistes ne leur reversent qu’une partie des richesses produites. Le profit, c’est la différence entre la valeur des richesses produites et la valeur des salaires. Aussi, pour les capitalistes, il faut alors trouver un moyen de maintenir leurs bénéfices en tirant davantage profit de l’exploitation des salariés. Ces facteurs objectifs permettent de comprendre la régression sociale actuelle. Il n’y a là ni problème de « morale », de « gestion », ou d’on ne sait quelle évolution que notre société aurait connue sur le plan des idées. C’est le système capitaliste qui est en cause.

La direction entretient une certaine confusion sur cette question. Et cela ne doit rien au hasard. Pour la direction confédérale, l’idée selon laquelle le capitalisme est mal géré et qu’il serait possible de sortir de la crise sans le remettre en cause présente l’avantage d’être compatible avec la propriété privée des entreprises et des banques et le fonctionnement de l’économie de marché. Mais la crise capitaliste sape les fondements économiques du réformisme. Bien évidemment, la direction de la CGT a raison de proposer des campagnes revendicatives sur les salaires, la protection sociale, les droits et libertés dans l’entreprise, les services publics et contre la précarité. Mais ce programme revendicatif se heurtera immédiatement à une grève de l’investissement des capitalistes. Il faut préparer les travailleurs à cette réalité et expliquer la nécessité vitale qu’il y a pour nous, nos emplois, nos salaires, nos conditions d’existence, d’ôter le pouvoir de nuisance des capitalistes sur l’économie, c’est-à-dire leur ôter le contrôle des entreprises et de l’investissement. Il faut en effet lier notre programme d’urgence sociale à la nécessité d’exproprier les capitalistes pour réorganiser la société sur des bases nouvelles, où les entreprises, nationalisées, seraient gérées dans le but de satisfaire les besoins sociaux, sur la base d’un programme de planification économique. Il faut relier la lutte contre les effets du capitalisme à la nécessité d’en finir avec ce système.

Mais au lieu de cela, la direction de la CGT ne jure plus que par le « Nouveau statut du travail salarié » (NSTS) et la « Sécurité sociale professionnelle » (SSP). L’idée est la suivante : il faut créer de nouveaux droits pour les salariés qui leur permettent de faire face aux attaques du patronat. Si un salarié est licencié, ce n’est pas grave, il sera couvert par une allocation chômage jusqu’à ce qu’il retrouve du travail ! Le document nous dit en effet que « La SSP vise le maintien du contrat de travail et du salaire jusqu’à ce qu’un reclassement soit effectif (…) [pour] tous les salarié-e-s, y compris (…) en contrat temporaire, précaire, temps partiels (...) ». Ce serait absolument merveilleux, n’est-ce pas ? Mais n’y a-t-il pas un petit problème  ? Le capitalisme connaît la plus grave crise de son existence, les entreprises ferment, l’investissement s’effondre. Où trouver le financement pour ces mesures exceptionnelles  ? Tant que les capitalistes tireront les cordons de la bourse, ils décideront de l’investissement. Nous sommes leurs otages. Ce programme n’est pas un programme de sortie de crise, c’est un programme qui ne tient pas compte du fonctionnement réel du capitalisme.

C’est d’autant plus étonnant qu’actuellement s’opère une brutale casse des droits existants. Le Code du travail est sabordé. La signature de l’accord MEDEF–CFDT remet en cause les accords d’entreprise et les conventions collectives. A l’occasion du débat régional en Ile-de-France sur la préparation du 50è congrès, un camarade a fait remarquer que l’idée de défendre le Code du travail, la hiérarchie des normes (c’est-à-dire la primauté du Code du travail sur les accords de branche et d’entreprise) et les conventions collectives n’apparaissait pas dans le document d’orientation qui fait au contraire la part belle aux « nouveaux droits ».

L’industrie

L’urgence dans le secteur industriel est de faire face à la vague de fermetures de sites de production. Étonnamment, le document d’orientation confédéral ne dit pas un mot des luttes en cours. La question de nos mots d’ordre relatifs à ces luttes est pourtant primordiale. Les salariés font face à des situations d’urgence que notre cahier revendicatif ne couvre pas. Que faut-il mener comme campagne revendicative face au saccage économique dans l’automobile par exemple ? La direction confédérale se projette dans un avenir fantasmatique où le « nouveau statut du travail salarié » aura eu raison de la précarité et du chômage. La question se pose pourtant maintenant. Le seul mot d’ordre qui vaille chez PSA, Mittal, Air France et ailleurs, c’est le refus total des fermetures de sites et des suppressions de postes, jusqu’à l’occupation et la nationalisation de l’entreprise, sous le contrôle des salariés, si le patronat refuse de céder. Quelle serait l’alternative ? Lutter pour des reclassements ou des indemnités ne permet pas de mettre un terme à ce vandalisme. Si notre objectif est effectivement de défendre l’emploi industriel, alors il faut passer de la parole aux actes ! Ces dernières semaines, le mot d’ordre de « nationalisation » a refait une percée spectaculaire dans l’esprit des travailleurs, notamment grâce au combat des salariés d’Arcelor-Mittal. Chez PSA, à Aulnay, les travailleurs occupent leur usine et sont en grève depuis le début du mois de janvier. Les événements s’accélèrent ! Le décalage est immense entre la réalité des luttes et le contenu de l’orientation proposée.

Pour maintenir et développer l’emploi industriel, la direction de la CGT propose de contraindre les capitalistes à investir dans des projets d’industrialisation, sans préciser concrètement comment elle compte s’y prendre. Il est gênant de devoir rappeler à la direction confédérale que l’unique motivation d’un investisseur capitaliste, c’est le profit qu’il espère en retirer ! Aussi, sauf à maintenir un revolver sur la tempe des dirigeants des grands groupes industriels, il est impossible de les faire agir dans le sens contraire à leurs intérêts. La direction nous dit vers quoi devrait être dirigé l’investissement (l’emploi) et que c’est « à la collectivité qu’il revient de définir les orientations de la production ». Très juste, mais comment décider des investissements et des orientations de ce que l’on ne possède pas ?

Absence de stratégie

Le document confédéral fait preuve d’une très grande légèreté sur le plan de la stratégie des luttes. Son point de vue sur la question se résume à rechercher « l’unité des salariés », idée vague que la direction décline concrètement par des fronts intersyndicaux. Nous avons récemment critiqué la manière dont la direction de la CGT applique cette tactique en toutes circonstances, et notamment lors de la lutte pour les retraites en 2010, où le « syndicalisme rassemblé » a mené à une impasse. Ne pas avoir cherché à généraliser les grèves reconduites dans les ports et les raffineries à d’autres secteurs a eu pour conséquence d’épuiser le mouvement de lutte de journées d’action en journées d’action.

L’arrivée de la gauche au pouvoir n’a pas permis d’inverser le cours des choses, faute d’un programme qui s’attaque à la racine du mal : la propriété capitaliste des banques et des grandes entreprises. L’austérité à laquelle se condamne François Hollande va mener à de nouvelles explosions sociales similaires au mouvement de masse de l’automne 2010. La direction de la CGT aura une nouvelle fois la responsabilité de conduire cette lutte. Aussi, il y a urgence à corriger notre approche. Les mêmes causes produiront les mêmes effets.

Cette question se pose également concrètement avec la multiplication des luttes dans les entreprises. La principale carence du document d’orientation qui nous est proposé est qu’il ne dit pas un mot de la situation réelle qui secoue actuellement le pays. Dernièrement, plusieurs bases syndicales ont organisé des initiatives pour tenter de faire converger leurs luttes respectives. Nous l’avons vu en octobre dans le secteur automobile et ces dernières semaines en région parisienne avec les initiatives impulsées par les « Licenci’elles », notamment. La responsabilité confédérale est d’ouvrir une perspective commune de lutte à ces travailleurs. Au cours du débat parisien de préparation au congrès, un camarade, s’adressant directement à Thierry Le Paon, désigné par la direction sortante pour succéder à Bernard Thibault, a dit qu’il nous faut un « chef d’orchestre » pour coordonner l’action des bases de la CGT et mettre un terme à la dispersion de ces dernières années. C’est vrai ! Il nous faut une direction qui prenne à bras le corps la conduite des luttes, centralise les initiatives, ouvre des fronts coordonnés de résistance à la casse sociale, soutienne matériellement les travailleurs par des caisses de grève et des campagnes publiques de propagande. Tout ceci n’existe pas dans les faits et ces travailleurs sont abandonnés à leur sort. Mais rien n’indique, dans le document, que la direction entende changer de cap.

La perspective est celle d’une nouvelle aggravation de la situation économique et sociale avec toutes les conséquences que cela suppose sur l’intensification de la lutte des classes. Au lieu de décliner concrètement un plan de bataille sur la base de mots d’ordre concrets alliés à une stratégie des luttes, le document d’orientation s’en tient à des déclarations vagues. La résolution 1 annonce ainsi que « la CGT fait le choix de l’action pour le progrès social », qu’elle « s’attachera (…) à créer les conditions d’une large intervention des salariés par la lutte revendicative ». Cela manque singulièrement de contenu ! Ce document devrait être une arme entre les mains de nos camarades. Le document d’orientation assomme le lecteur par le nombre incalculable de questions qui demeurent sans réponse. On se perd dans les détours incessants des interprétations à donner aux mots employés, et qui se contredisent. Au lieu d’une boussole, c’est un labyrinthe dans lequel nos camarades se perdront.

Mettre un terme au gâchis

Les nombreuses carences de ce texte que nous avons soulignées témoignent de l’abdication de la direction de la CGT face à la nécessité de conduire une lutte déterminée contre les intérêts capitalistes. L’application du programme de réformes proposées, sans remise en cause de la propriété privée des entreprises, sera mise en échec par les mécanismes de fonctionnement du capitalisme. Son effacement sur le terrain des luttes l’amène à privilégier les consultations et négociations avec le pouvoir et le patronat, et à passer sous silence l’extrême tension qui règne dans les entreprises où les luttes se multiplient. Pourtant, on lit dans ce document que « c’est une véritable guerre qui est déclarée aux travailleurs ». Et bien, si c’est d’une guerre qu’il s’agit – et nous le pensons aussi – alors il faut sonner le clairon de la mobilisation générale !

Le sommet de la CGT est en décalage avec la base. De plus en plus de camarades se disent qu’on a les moyens de faire beaucoup mieux. La CGT est un concentré de militants sincères et dévoués à la cause de notre classe. Les positions que nous occupons dans les entreprises sont une richesse d’une valeur incalculable. Mais ce trésor est largement sous-utilisé. Si nos militants sentaient que nos dirigeants sont solides sur le plan des idées et volontaires sur le plan des luttes, cela renforcerait la capacité de lutte de notre confédération. Ce qui, au passage, réglerait la question de notre renforcement en militants. Le temps passe et des opportunités se perdent. Mais le déclin économique provoquera toujours plus d’explosions de colère. Nos militants finiront tôt ou tard par ouvrir un front large de lutte contre le capitalisme par eux-mêmes, mais les carences de la direction confédérale nous font perdre un temps précieux que les travailleurs paient au prix fort.

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