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Dans son texte d’orientation pour le 49e Congrès de la CGT, la direction confédérale définit son objectif général, pour la France et pour le monde, comme la promotion d’un « développement humain durable ». On le sait, la notion de développement durable est très à la mode, ces temps-ci. Les auteurs du document de la CGT ont certainement pensé que l’insertion du mot « humain » pouvait rendre cette notion encore plus sympathique. Mais qu’est-ce que cela veut dire, au juste ? Qu’on souhaite « longue vie » à l’espèce humaine ? A vrai dire, même la droite et les capitalistes ne défendent pas l’idée contraire – la déchéance à court terme de notre espèce.

Désirer le bonheur de tous est un sentiment très noble. Le problème, c’est qu’à ce jour, les « humains » sont profondément divisés. L’immense majorité de la population mondiale est exploitée et opprimée pour assurer le « développement durable » d’une minorité de parasites capitalistes. Et à défaut d’un programme sérieux pour éradiquer la source de cette oppression –  le système capitaliste –, l’expression de sentiments nobles n’y changera rien. Or, justement, le défaut majeur du texte d’orientation du 49e Congrès de la CGT, c’est que les quelques objectifs présentés ne trouvent aucune expression concrète en matière d’action militante, de programme ou de stratégie.

Cette carence ne doit rien au hasard. Elle découle directement du fait que les instances confédérales de la CGT ont renoncé à la lutte contre le système capitaliste. Leur adaptation de plus en plus flagrante aux « réalités » du capitalisme a réduit leurs objectifs à la promotion de divers concepts et recommandations qui visent à atténuer la régression sociale. Par exemple, il est dit qu’il faudrait une « juste répartition des richesses ». Pour y parvenir, une « profonde réforme de la fiscalité » est recommandée. Evidemment, nous serions favorables à une politique fiscale qui, à l’inverse de celle de Sarkozy, viserait à imposer davantage les riches et à alléger la charge fiscale qui pèse sur les foyers modestes. Mais si par « juste répartition », on entend un rapprochement majeur entre le niveau de vie des capitalistes et celui de la masse de la population, disons d’emblée que c’est tout simplement impossible, sous le capitalisme. Prétendre le contraire, c’est faire abstraction du mode de fonctionnement du capitalisme.

L’amputation d’une portion importante des revenus des riches serait une mesure progressiste, dans certaines limites. Mais les conséquences qui en découleraient ne doivent pas être perdues de vue. Qu’il s’agisse de l’imposition des bénéfices des entreprises, ou des opérations spéculatives, des valeurs immobilières, etc., une réforme fiscale d’une ampleur susceptible de nous amener vers une « juste répartition des revenus » se traduirait inévitablement par une diminution correspondante de la rentabilité du capital. Or, sous le capitalisme, c’est la course aux profits qui constitue le moteur central des investissements et de l’activité économique en général. Le résultat immédiat n’en serait pas la « relance économique » souhaitée par la direction confédérale, mais au contraire une accélération du déclin économique. Les capitalistes sont en train de détruire l’industrie. Ils ont le pouvoir de le faire parce que, comme propriétaires des entreprises, ils décident des investissements qui sont à faire ou à ne pas faire, les usines qui sont à fermer ou à délocaliser, et ce en fonction de la seule chose qui les intéresse : le profit. Si tel est le cas, aujourd’hui, alors que les réformes fiscales menées par le gouvernement leur sont favorables, qu’en serait-il dans le cas d’une baisse drastique de la rentabilité de leur capital ?

Curieusement, alors que les auteurs du texte réclament une augmentation massive de l’imposition des riches, ils proposent en même temps de « faire de l’impôt sur les sociétés un outil de promotion de l’emploi et de l’investissement productif ». Mais comment est-ce possible ? En augmentant leurs impôts ? Bien évidemment pas. Ce qui est proposé ici, c’est la méthode maintes fois discréditée qui consiste à récompenser, par une baisse des impôts, les capitalistes que la recherche de profits incite à exploiter davantage de salariés, ou à réaliser des investissements. Pour aider les pauvres, il apparaît donc qu’il faudrait d’abord enrichir les riches. Mais que devient, dans ce cas,  la « juste répartition des revenus » ?

A chaque pas, les mesures de « relance » ou de « justice sociale » proposées dans le texte se heurtent aux réalités du fonctionnement de l’économie capitaliste. Le problème de fond, c’est que la direction actuelle de la CGT refuse de poser le problème fondamental : qui doit posséder et contrôler l’économie ? Plutôt que de lutter contre le système, elle s’efforce de faire des suggestions prétendument « pratiques » et « réalistes » – mais qui, en fait, ne règleraient absolument rien, du point de vue des travailleurs.

Les causes et la nature de la crise

Il est vrai que, par endroits, et notamment dans la partie du texte qui parle des causes de la crise économique, les auteurs donnent l’impression de contester le système capitaliste lui-même. Mais à y regarder de plus près, ce n’est malheureusement qu’une impression. « Un an après son déclenchement, écrivent-ils, il y a toujours bataille pour caractériser la crise à laquelle nous sommes confrontés. Comme d’habitude, les dirigeants cherchent à accréditer l’idée de "causes externes" ou de simples "dérapages". […] En réalité, la crise est structurelle. »

En lisant que la crise actuelle du capitalisme est « structurelle », nous sommes tentés de penser que, pour la direction de la CGT, ce qui est en cause ici n’est pas telle ou telle dérive du capitalisme – mais le système capitaliste lui-même. Cependant, qu’entend-elle par crise structurelle ? Le terme est ambigu. Cela peut signifier que la crise est due à la « structure » capitaliste de la société – c’est-à-dire à la propriété privée des moyens de production et d’échange. Mais cela peut aussi signifier que la crise est due à certaines caractéristiques de la  « structure » du capitalisme actuel, comme par exemple l’expansion incontrôlée du crédit. La différence entre ces deux appréciations est très importante. Selon la première, il s’ensuivrait que le programme de la CGT devrait proposer d’en finir avec le capitalisme. Selon la deuxième, il suffirait de corriger une ou plusieurs caractéristiques particulières du capitalisme pour sortir de la crise – et, suppose-t-on, prévenir toute crise, à l’avenir. Comme le montre la suite du texte, c’est cette deuxième variante que professent ses auteurs.

Ils écrivent : « [La crise] a trois racines profondes : une nouvelle phase de la mondialisation qui a provoqué la mise en concurrence des travailleurs à une échelle sans précédent ; une augmentation de la rentabilité du capital qui a accru la pression sur les salariés, développé la précarité et réduit l’investissement dans la sphère productive ; l’existence d’un volume impressionnant de liquidités qui a permis une inflation des actifs financiers et immobiliers. Patronat et gouvernements veulent ignorer le fait que c’est globalement le mode de croissance financier et libéral, qui s’est imposé depuis vingt-cinq ans à partir des États-Unis, qui est en crise. C’est celui-ci qu’il faut mettre en cause en mesurant la place nouvelle à accorder au travail, à l’environnement, aux biens publics et aux activités productives. Le "retour au réel", présenté comme l’alternative à la "financiarisation", passe par la mise en cause de la logique de la rentabilité financière et la reconnaissance de ces priorités sociales et économiques. »

Le développement de la technologie et de la division internationale du travail a effectivement débouché sur « la mise en concurrence des travailleurs à une échelle sans précédent ». Ceci explique la pression accrue sur les salariés, qu’évoque le texte. Mais c’est une erreur grave de considérer que la cause fondamentale de la crise actuelle réside dans la « financiarisation » de l’économie. Il s’agit d’une crise classique de surproduction capitaliste. Il y a trop d’usines, trop d’avions, trop de voitures, trop de navires, trop de biens électroménagers, trop de téléphones portables, trop de produits agroalimentaires et trop de production en général par rapport à la demande.

De telles crises sont inévitables, sous le capitalisme. Comme nous l’apprend la théorie économique de Marx, le profit n’est rien d’autre que la part des richesses créées que les capitalistes ne restituent pas aux travailleurs, sous forme de salaire. Les salariés ne sont payés  qu’une fraction de la valeur qu’ils ont créée. En conséquence, ils ne peuvent jamais acheter l’intégralité des valeurs mises sur le marché. D’où les crises périodiques de surproduction. La « financiarisation » à outrance ou, pour être plus précis, l’injection d’une quantité toujours plus importante de crédits dans l’économie, a certes joué un rôle dans la crise. Mais elle n’en est pas la cause fondamentale. Le rôle du crédit – autrement dit, de l’endettement –, c’est d’augmenter artificiellement la demande – pour des biens de consommation comme pour la technique et les moyens de production. Mais ce faisant, les capitalistes n’ont fait que reporter à plus tard l’avènement de la crise de surproduction. Sans l’endettement massif – des consommateurs, de l’Etat et des entreprises – et sans l’expansion artificielle de la demande qu’il a engendrée, cette crise de surproduction aurait tout de même eu lieu. Simplement, elle serait intervenue plus tôt.

La crise des subprimes, aux Etats-Unis, est survenue en raison d’une surproduction de biens immobiliers. Mais la surproduction ne se limitait pas à ce seul secteur. Sur une année, la contraction du volume des échanges commerciaux, à l’échelle internationale et tous secteurs confondus, a été de l’ordre de 30%. Toutes les régions et tous les pays du monde ne sont pas en récession. Mais partout, y compris en Chine et en Inde, la production se ralentit très nettement, faute de débouchés. L’investissement productif s’effondre avant tout parce qu’il ne sert à rien de produire davantage lorsqu’on n’arrive pas à vendre ce qui est déjà produit. Ce n’est pas tant le « mode de croissance financier » qui est responsable de la crise, en dernière analyse, mais le mode de production capitaliste lui-même, fondé sur la propriété privée des moyens de production et d’échange, et donc sur la production pour le profit privé. C’est ce système que nous devons abolir et remplacer par le socialisme. Cet objectif doit être placé au cœur du programme de la CGT, renouant ainsi avec ses grandes traditions militantes et révolutionnaires.

A la faiblesse de l’analyse de la crise correspond la faiblesse des propositions pour la combattre. Le texte explique, en substance, que les capitalistes abandonnent le secteur productif – qui ne serait pas assez rentable – pour se tourner vers des investissements financiers. Pour remédier à ce problème, il faudrait rendre le secteur productif plus rentable, et donc plus attractif pour les capitalistes. Comment ? Grâce, nous dit-on, à des subventions publiques et des concessions fiscales. Mais l’expérience nous prouve que ce genre d’« aides » aux capitalistes n’est d’aucune efficacité. Le fait de donner de l’argent public aux capitalistes ne règle en rien le problème de la surproduction. Parmi les milliers d’entreprises qui ont été liquidées par les capitalistes ou qui suppriment des emplois, une proportion considérable a bénéficié de telles subventions publiques.

Absence de stratégie sérieuse

Le texte fait un certain nombre de propositions pour améliorer les conditions de vie des travailleurs : une revalorisation des salaires et des pensions, un « nouveau statut pour le travail salarié », un « socle commun de garanties collectives », une « sécurité sociale professionnelle », etc. Abstraction faite de la viabilité – douteuse – de ces propositions, sur la base du capitalisme, le rôle d’une confédération syndicale ne devrait pas se limiter à la seule émission d’idées. Elle doit surtout contribuer à l’organisation, au soutien et à la généralisation des luttes. A l’heure où des millions de salariés font face à une dégradation sévère de leurs conditions de travail et de vie en général, la CGT doit indiquer aussi clairement que possible les méthodes qu’elle préconise pour lutter contre cette dégradation. La carence la plus flagrante de ce texte est qu’il ne donne absolument aucune consigne et aucune indication sur la conduite des luttes en cours ou à venir. Les salariés dont l’entreprise est menacée de fermeture ou de délocalisation n’y trouveront rien pour appuyer et renforcer leur combat. Le texte d’orientation ne s’occupe pas de leur cas – pas plus que la direction confédérale ne s’en occupe, dans la pratique. On les laisse pratiquement se débrouiller seuls. Ce fut le cas pour les travailleurs de Continental, comme pour tant d’autres salariés de sites menacés.

Face à l’attitude implacable du patronat, la CGT devrait promouvoir une stratégie offensive qui frappe à la racine du problème, c’est-à-dire qui s’en prenne à la propriété des capitalistes, au pouvoir qu’ils ont de décider du sort des travailleurs. Se contenter d’attendre un repreneur capitaliste, ou lutter pour des primes de licenciement, n’est pas la solution. Les salariés devraient passer à l’occupation des entreprises menacées. Usine fermée, usine occupée – jusqu’à la nationalisation de l’entreprise, sous le contrôle et la direction des salariés eux-mêmes. La CGT devrait organiser des campagnes de solidarité pour apporter l’argent et le soutien dont les travailleurs auront besoin pour maintenir l’occupation et sauver leurs emplois.

En matière de stratégie syndicale, le texte vante les mérites de ce qu’il appelle le « syndicalisme rassemblé », c’est-à-dire la soi-disant « plate-forme commune » avec d’autres confédérations syndicales, telles que FO et la CFDT : « La conquête des droits des salariés, de la démocratie sociale de transformations sociales nécessite la construction et le renforcement d’un rapport de forces durable. C’est tout le sens des efforts réalisés par la CGT pour contribuer à la constitution d’un front uni des organisations syndicales, à tous les niveaux. Ainsi, les actions impulsées par les huit organisations syndicales de salariés, le contenu de leur plate-forme revendicative commune, les mobilisations impressionnantes réalisées témoignent de la capacité du monde du travail à se rassembler et agir sur des objectifs communs pour construire un rapport de forces durable et faire valoir que nous sommes la solution face à leur crise. »

Sous prétexte de conserver l’union la plus large des organisations syndicales, cette « plate-forme commune » est en fait un moyen de limiter les actions syndicales et les objectifs des mobilisations nationales à ce que veulent bien accepter les instances dirigeantes des autres confédérations. C’est « l’unité » sur le dénominateur commun le plus bas. Et on sait que chez des gens comme Chérèque et Mailly, ce dénominateur est vraiment très bas !

Bilan des journées d’action

Dans notre article Sommet social du 18 février : le piège de la "concertation", nous écrivions : « Nous ne sommes pas hostiles à toute négociation, en toutes circonstances, avec le gouvernement. Mais des négociations qui ne sont appuyées que par des manifestations ponctuelles – aussi massives soient-elles – n’aboutiront à rien, si ce n’est à épuiser les détachements les plus combatifs du mouvement. Pour des dirigeants syndicaux de la trempe de Chérèque ou Mailly, des journées comme celle du 29 janvier, ou comme celle qui a été annoncée pour le 19 mars prochain, ne servent précisément qu’à cela. Chérèque et Mailly, qui se considèrent, de toute évidence, comme des conseillers stratégiques de Sarkozy, l’ont constamment mis en garde contre le "danger" qu’il courrait en mettant à l’ordre du jour plusieurs réformes en même temps. Ils l’ont prévenu que cela risquait de coaliser les oppositions et donner lieu à une généralisation des luttes contre le gouvernement. Ils lui conseillaient de traiter les problèmes "dossier par dossier". Si, pour le 29 janvier, ces mêmes dirigeants ont finalement accepté l’organisation d’une mobilisation unitaire, c’était pour tenter de redonner du souffle à la mascarade de la concertation.

« La direction de la CGT, réputée plus combative, a cependant adopté une démarche similaire, dans la pratique. Le 29 janvier, 2,5 millions de personnes descendent dans la rue contre Sarkozy. Ensuite, on leur dit d’attendre ce que Sarkozy dira le 5 février. Le jour venu, l’intervention télévisée du Président n’indique aucun infléchissement de sa politique, mais les syndicats acceptent tout de même d’entrer dans le jeu des consultations du 18 février. Pour faire pression sur les pourparlers en question, une nouvelle journée de manifestations est annoncée pour le 19 mars. Et après ? Faudra-t-il attendre un nouveau passage de Sarkozy à la télévision, suivi d’autres pourparlers, suivis d’autres journées d’action ? Combien de temps cette valse futile va-t-elle encore durer ? »

La « valse futile » a continué, et elle a été marquée, comme nous l’avions prévu, par une participation de plus en plus faible aux journées d’action. La « stratégie » qui consiste à multiplier des journées d’action a fini par épuiser les militants. C’est à peu près son seul résultat tangible. Loin de créer un « rapport de forces durable » et plus favorable au mouvement syndical, cette stratégie l’a affaibli. Y a-t-il un seul militant de la CGT qui, aujourd’hui, après toutes ces journées d’action, imagine qu’on obtiendra quoi que ce soit par cette stratégie ?

Et pourtant, à la lecture de son texte et de ses résolutions de congrès, il est clair que la direction confédérale cherche précisément à faire entériner la poursuite de cette démarche. Selon sa manière de voir les choses, les actions ponctuelles dans un front syndical « large », autour de mots d’ordre acceptables par les dirigeants de la CFDT, de FO, etc., seraient en train de créer un « rapport de forces durable » qui finira par convaincre le gouvernement de prendre en compte les propositions des syndicats ! Et comme pour nous expliquer comment les choses se passent dans les « concertations » de haut niveau avec les réactionnaires qui nous gouvernent, le texte nous dit : « La valeur du travail, la valeur travail, le statut du travail, sont bien au coeur de l’affrontement pour une issue à la crise. Des visions de la société, de la place et du rôle du travail comme facteur de développement et de progrès social, de lien social, et donc aussi des visions de la place du capital, s’affrontent. De ces conceptions, résultent des choix politiques, des normes, des règles qui, soit participent à la généralisation de l’insécurité sociale et au mal vivre, soit concourent, au contraire, à sécuriser les parcours de vie des salariés, de leurs familles. »

Ainsi, pendant que les salariés défilent toutes les 6 ou 8 semaines dans la rue, des « visions » et des « conceptions » sont en train de s’affronter et de fusionner, là-haut, dans les salons du gouvernement, pour devenir des « normes » et des « règles », bonnes ou mauvaises. Soit. Mais jusqu’à présent, toutes les « concertations » et négociations entamées avec ce gouvernement ont donné lieu à des reculs et à de nouvelles régressions. Le texte d’orientation ne présente aucun bilan sérieux de cette stratégie, qui est de toute évidence dans une impasse.

Malgré ses défauts, la Charte d’Amiens, adoptée par la CGT en 1906, avait au moins le mérite d’inscrire « l’expropriation générale » des capitalistes au centre des objectifs du mouvement syndical. Pourquoi cet objectif a-t-il été abandonné ? Les propositions du texte ne portent nullement atteinte à la propriété capitaliste. Elles reposent entièrement sur l’illusion qu’au moyen de diverses mesures fiscales et « régulatrices », il serait possible de faire en sorte que le capitalisme obéisse à une « logique » différente, dans l’intérêt des travailleurs. Mais en définitive, une direction syndicale qui ne veut pas lutter contre le capitalisme est condamnée à se plier à ses impératifs.

Personne ne propose – comme on le prétend parfois – de sous-estimer l’importance des luttes immédiates et d’attendre passivement l’avènement du socialisme. Il est bien évidemment nécessaire de lutter, ici et maintenant, contre toutes les conséquences du capitalisme, que ce soit le chômage et la précarité de l’emploi, les conditions de travail infernales, les salaires dérisoires ou les discriminations raciales, sexuelles, etc. Mais en même temps, il faut dire la vérité aux travailleurs. Il faut s’efforcer de leur faire comprendre qu’on ne peut pas résoudre les problèmes engendrés par le capitalisme sur la base du capitalisme. La CGT doit expliquer constamment et patiemment, à tous les travailleurs, que leurs luttes immédiates – même victorieuses – n’enlèvent rien à la nécessité impérieuse d’en finir avec le capitalisme. Il faut ouvrir les yeux des travailleurs sur le fait que, sur la base de ce système, tout ce qu’ils peuvent gagner par la lutte, souvent au prix d’énormes sacrifices, sera nécessairement miné et perdu par la suite, si les capitalistes conservent le contrôle de l’industrie et de la finance.

L’argument qui consiste à dire que ceci revient à « faire de la politique », et qu’un syndicat ne doit pas en faire, est totalement fallacieux. Dans une interview au Monde, en août dernier, le délégué CGT de Continental, Xavier Mathieu, y répondait en ces termes : « Mettre dos-à-dos les politiques et les syndicalistes, c’est de la connerie. Quand Thibault demande l’interdiction des licenciements ou la hausse du SMIC, ce n’est pas de la politique ? […] Comment on peut dire, si on est syndicaliste, qu’on ne fait pas de politique ? » C’est absolument correct. Expliquer qu’il faut lutter contre le capitalisme, c’est, en effet, une prise de position politique. Mais s’accommoder du capitalisme, en le considérant comme le seul système possible, c’est une position tout aussi « politique » !

Que les dirigeants de la CGT le veuillent ou non, une polarisation « politique » va se développer, au sein de la confédération, dans les années à venir. La crise du capitalisme et l’impasse du « syndicalisme de proposition » – qui propose de ne pas toucher à la propriété capitaliste –, provoquent une radicalisation croissante de la base militante de la CGT. Les responsables syndicaux qui y résisteront seront écartés et remplacés par des dirigeants plus combatifs. C’est inévitable – et c’est nécessaire. La CGT est la plus puissante organisation des travailleurs du pays. Elle a un rôle décisif à jouer dans la lutte pour en finir avec le système capitaliste. Mais pour cela, il lui faut un programme, des idées, une stratégie et des dirigeants à la hauteur de cet objectif !

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