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Barricade de la rue Soufflot - Horace Vernet

Il y a 170 ans en février 1848, la Monarchie de Juillet était renversée en quelques jours par une mobilisation de masse, à Paris. Quelques mois plus tard, en juin, le nouveau gouvernement républicain écrasait un soulèvement de la classe ouvrière parisienne. Ces deux événements sont largement « oubliés » par la bourgeoisie française, pourtant friande de commémorations en tous genres. Cela s’explique simplement. Pendant quelques mois, les deux classes fondamentales du capitalisme – la bourgeoisie et le salariat – se sont retrouvées face à face, pour la première fois. La façade de « fraternité » républicaine n’y a pas résisté ; la rhétorique universaliste a cédé le pas devant les intérêts économiques et politiques de la classe dominante.

La Monarchie de Juillet

Depuis 1830, la France était dirigée par Louis-Philippe, son dernier roi. Sous son règne, le capitalisme avait commencé à s’implanter solidement en France. Il infligeait des conditions terribles à la jeune classe ouvrière : des journées de travail de 11 à 16 h, l’arbitraire patronal et des salaires misérables. Le régime politique était basé sur le suffrage censitaire, qui réservait le droit de vote aux citoyens payant un certain montant d’impôt. En 1847, il y avait 246 000 électeurs pour 36 millions d’habitants. Face aux demandes d’élargissement du corps électoral, le Président du Conseil, François Guizot, avait répondu : « Enrichissez-vous et vous deviendrez électeurs » !

Le mouvement ouvrier avait commencé à se développer, souvent en lien avec les organisations secrètes républicaines. De nombreuses insurrections avaient mêlé slogans républicains et revendications sociales ou économiques, comme à Lyon en 1831 et en 1834. Une grande partie de la bourgeoisie elle-même n’était pas satisfaite du régime. En effet, la bourgeoisie industrielle, issue du développement récent du capitalisme, était largement exclue du gouvernement, lequel était accaparé par la bourgeoisie financière, qui spéculait sur les marchés publics.

La Révolution de Février

En 1847, la France est dans une situation économique désastreuse. Une mauvaise récolte a entraîné la hausse du prix du blé et un début de disette. Dans le même temps, une crise de surproduction fait flamber le chômage et s’effondrer la bourse, minée par la spéculation. La misère augmente et la contestation s’intensifie.

Face à cette situation, l’opposition légale, bourgeoise, réclame une réforme du régime. Elle organise toute une série de « banquets », qui sont autant de meetings politiques déguisés, pendant que les émeutes ouvrières se multiplient. Lorsque Guizot interdit la tenue d’un grand banquet, prévu le 22 février 1848, des manifestations secouent Paris, réunissant ouvriers, étudiants et artisans. Le 23 février, l’armée ouvre le feu, tuant 50 manifestants. Le soir même, des armureries sont pillées, des barricades érigées et des unités de la Garde Nationale passent du côté des manifestants. La manifestation en faveur du banquet interdit se transforme en révolution.

Le pouvoir de Louis-Philippe se désagrège rapidement ; ses ministres fuient et son armée se délite. Le 25 février, alors que les parlementaires bourgeois hésitent quant à la conduite à adopter et s’orientent vers le maintien d’une monarchie « libéralisée », c’est le peuple en arme qui vient les contraindre à proclamer un gouvernement provisoire républicain, qui se trouve d’office entre les mains de la bourgeoisie.

La République « sociale »

Toute la révolution de 1848 est résumée dans cet épisode : la bourgeoisie industrielle ne voulait pas d’une révolution et se serait contentée de réformes l’associant au pouvoir ; de son côté, la classe ouvrière espérait que la nouvelle République abolirait la misère et l’exploitation, mais remit le pouvoir à la bourgeoisie.

Sous la pression des ouvriers, le gouvernement confie néanmoins au socialiste Louis Blanc et à « l’ouvrier Albert » une commission chargée de rechercher les moyens « d’améliorer » la situation des travailleurs. Mais elle ne dispose d’aucun budget. En acceptant cette mascarade, Louis Blanc devient un bouclier protégeant le gouvernement contre les travailleurs. Il maintient l’illusion d’une République « sociale ». Parodiant les « ateliers sociaux » coopératifs dont rêvait Louis Blanc, le gouvernement met en place des « ateliers nationaux » qui fournissent aux chômeurs parisiens un emploi dans les travaux publics. Plus de 100 000 hommes intègrent ces ateliers, devenus leur unique moyen de subsistance.

La paysannerie, qui constitue alors l’immense majorité de la population française, est très vite hostile au régime. Celui-ci crée de nouveaux impôts pour rembourser les dettes contractées par le précédent régime. Pour le paysan, le Paris révolutionnaire devient synonyme d’une misère accrue. La bourgeoisie et les notables en profitent, montant les pauvres des campagnes contre les pauvres des villes.

Cela pèse d’autant plus que le suffrage universel, nouvellement proclamé, fait des paysans les arbitres de la vie politique. Les travailleurs de Paris, toujours armés depuis les affrontements de février, en sont conscients : ils tentent de repousser l’élection de l’Assemblée Constituante, le temps que le véritable programme des républicains « avancés » et des socialistes puisse être connu dans les campagnes. Mais chacune de leurs initiatives se heurte au gouvernement. Le 16 avril, une manifestation pour le report des élections est dispersée par la force, sans que Louis Blanc quitte le gouvernement.

Un des phénomènes les plus frappants de la République de 1848, c’est le ralliement massif des vieux notables monarchistes à la République. Ils cherchaient auprès du gouvernement une protection contre le peuple. Les élections du 23 avril permettent à ces « républicains du lendemain » et aux républicains modérés de noyer sous leur nombre les « républicains de la veille » : ils emportent près de 600 sièges, sur 880.

Les journées de juin et le règne de « l’ordre »

Dès le lendemain des élections, le gouvernement expulse de ses rangs Louis Blanc et Albert. Il multiplie les provocations. Le 15 mai, une manifestation pour l’aide à la Pologne révolutionnaire envahit l’Assemblée et tente de proclamer un nouveau gouvernement composé de républicains « avancés ». La répression est féroce ; elle décapite le mouvement ouvrier.

Estimant avoir les mains libres pour restaurer « l’ordre », le gouvernement s’attaque aux ateliers nationaux, symboles des tentatives d’améliorer le sort des travailleurs et de faire intervenir l’Etat dans l’économie. Le 21 juin, l’Assemblée vote leur fermeture et l’enrôlement obligatoire des jeunes chômeurs dans l’armée.

La réaction de la classe ouvrière est immédiate. Le 23 juin, Paris se couvre de barricades. Pendant trois jours de combats désespérés, les travailleurs parisiens résistent aux troupes du général Cavaignac. Le 26 juin, les dernières barricades sont brisées. 4000 ouvriers meurent pendant les affrontements qui sont suivis, les jours suivants, par une vague de répression sanglante : 1500 insurgés sont exécutés sans jugement ; plus de 10 000 sont condamnés à la déportation.

Débarrassée de la « menace rouge », l’Assemblée Constituante démet le gouvernement, encore trop républicain à son goût, et remet provisoirement les pleins pouvoirs au général Cavaignac, « héros » des journées de juin. Mais les élections présidentielles du 10 décembre marquent le triomphe de Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon Ier, candidat conservateur soutenu par la masse des bourgeois et, surtout, des paysans, alors que la plupart des dirigeants socialistes ou républicains avancés sont en prison ou en exil. Le règne du « parti de l’ordre » commence : il s’accompagne de l’abolition de toutes les mesures sociales adoptées en 1848 et de la restriction du suffrage universel par une obligation de résidence, ce qui exclut beaucoup d’ouvriers (forcés de souvent déménager).

La révolution de 1848 eut une conséquence fondamentale : le mouvement ouvrier acquit son indépendance vis-à-vis du mouvement républicain bourgeois. Les premiers mois de la IIe République avaient en effet montré qu’aucun gouvernement ne peut satisfaire les intérêts de classes sociales opposées. La bourgeoisie vit en asservissant les salariés – et ceux-ci ne peuvent se libérer qu’en brisant son règne. Le gouvernement provisoire de 1848, qui prétendait régler le « malentendu » de la lutte des classes sans s’attaquer au capitalisme, dut se mettre au service de la bourgeoisie pour écraser la classe ouvrière. Comme Marx le remarqua, à l’époque, dans son ouvrage Les luttes de classe en France, c’est à travers la défaite de juin 1848 que le mouvement ouvrier français put devenir un mouvement indépendant, luttant pour ses propres intérêts de classe.

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